La pandémie de syndrome respiratoire aigu sévère dû au coronavirus 2 (SRAS-CoV-2) risque fort de surcharger notre système de santé au-delà de sa capacité, et la prestation de soins palliatifs sera requise dans de nombreux milieux de soins, y compris dans les unités de soins intensifs, les services hospitaliers, les services des urgences et les établissements de soins de longue durée.
La prise de décision partagée entre médecins et patients est un processus déterminant dans la planification des soins de fin de vie, mais en raison des directives de la santé publique et d’un manque de ressources, un scénario de pandémie nuit grandement à la capacité des patients d’opter pour des mesures visant à prolonger leur vie ou de choisir leur lieu de décès; certains patients pourraient devoir être mis en isolement à la fin de leur vie.
Des événements ayant fait de nombreuses victimes dans le passé nous ont beaucoup appris sur la façon de mieux trier les patients qui ont besoin de soins, et une partie de ce travail peut être adaptée pour les soins palliatifs; mais peu de choses ont été écrites sur la façon de prendre en charge les patients à qui on n’offre pas de mesures de maintien de la vie.
Nous suggérons de constituer maintenant des réserves de médicaments et de fournitures utilisés en soins palliatifs, de former du personnel pour répondre aux besoins en soins palliatifs, d’optimiser les lieux de soins, de raffiner les systèmes de santé, de soulager l’angoisse de séparation, d’avoir des discussions importantes et de porter attention aux populations marginalisées pour s’assurer que tous les patients aient un accès équitable aux soins.
La pandémie de SRAS-CoV-2 est une tragédie pour bien des gens partout sur la planète. Ne pas offrir à la population canadienne des soins palliatifs efficaces dans ce contexte viendrait aggraver cette tragédie.
La pandémie de syndrome respiratoire aigu sévère dû au coronavirus 2 (SRAS-CoV-2) actuelle exercera à coup sûr une pression démesurée sur le système de santé canadien et de ce fait, bien des gens pourraient mourir. Dans cet article, nous passons en revue les défis de la prestation des soins palliatifs durant une pandémie.
En Italie, rapidement, les hôpitaux ont été forcés de procéder à un triage et de nombreux patients âgés atteints de comorbidités n’ont pas eu accès aux soins intensifs1. En effet, même dans un pays aux ressources abondantes, en temps de pandémie, le nombre de personnes n’ayant pas accès à des traitements essentiels au maintien de la vie pourrait dépasser le nombre de patients traités2. On pourrait conclure à un échec du système, mais ce serait injuste, car aucun système de santé viable ne saurait répondre à une telle demande. Mais faute de respirateurs artificiels, les patients à qui on ne permet pas l’accès aux soins intensifs devraient toutefois avoir droit à des soins palliatifs de qualité. Dans un tel contexte, l’incapacité de fournir des soins palliatifs ajouterait à la tragédie causée par la pandémie ellemême et constituerait en soi un échec du système de santé.
Quels sont les défis de la prestation de soins palliatifs durant une pandémie virale?
Les soins palliatifs englobent 3 sphères : soulagement des symptômes; prise en compte des volontés, des attentes et des valeurs du patient par le biais de la planification préalable des soins intégrée aux objectifs thérapeutiques; et soutien aux familles3. Nous nous attendons à ce que l’actuelle pandémie de SRAS-CoV-2 génère une forte augmentation de consultations pour insuffisance respiratoire aiguë causée par la pneumonie, accompagnée de fièvre, dyspnée, congestion respiratoire, douleur, nausées et délire. Le risque de décès est plus élevé chez les adultes âgés, particulièrement s’ils sont déjà fragiles et atteints de comorbidités. Bien des gens ont déjà rédigé leurs directives médicales anticipées et demandent un recours aux soins de confort s’ils deviennent gravement malades. D’autres patients, intubés et sous respirateur mécanique, dont l’état clinique ne s’améliore pas seront extubés. Et faute de ressources, un troisième groupe de patients n’aura pas accès au respirateur mécanique. Lors d’une pandémie virale, il faut donc s’attendre à ce que les demandes de soins palliatifs augmentent substantiellement. Les soins palliatifs devront en outre être offerts dans de nombreux milieux de soins, tels que les unités de soins intensifs (USI), les services hospitaliers, les services des urgences et les établissements de soins de longue durée (ESLD) où résident certains des patients les plus à risque. Or, précisément, les ESLD connaissent déjà une pénurie chronique d’effectifs et ils peuvent manquer de médicaments et d’équipes de soins palliatifs pour soulager certains symptômes graves.
La prise de décision partagée entre les médecins et les patients est au coeur de la planification des soins de fin de vie; mais en raison des directives de la santé publique et d’un manque de ressources, un scénario de pandémie nuit grandement à la capacité des patients d’opter pour des mesures visant à prolonger leur vie ou de choisir leur lieu de décès. Des patients pourraient ne pas avoir accès à la ventilation mécanique même si c’est ce qu’ils souhaitent. Les patients atteints de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) pourraient devoir être en confinement contre leur gré (p. ex., unités de soins désignées), sans compter qu’à mesure qu’évolue l’épidémiologie du SRAS-CoV-2, établir un pronostic pourrait devenir très difficile et l’issue pourrait demeurer incertaine pour les patients atteints de pneumonie ou d’insuffisance respiratoire associée à la COVID-19. Ces situations causeront sans doute beaucoup de détresse chez les patients, leurs proches et les équipes soignantes.
Les patients et les familles ont des besoins affectifs, psychologiques, sociaux et spirituels auxquels répond souvent une approche de soins palliatifs interprofessionnels regroupant médecins, infirmières, travailleurs sociaux et intervenants en soins spirituels. Lors d’une pandémie, les patients qui meurent de pneumonie virale causée par le SRAS-CoV-2 seront seuls, placés en isolement en raison des interdictions de visites et de déplacements. Exténuées, les équipes soignantes pourraient être dans l’impossibilité de rester à leur chevet ou de procéder à des examens physiques réguliers, ce qui affectera négativement la perception vis-à-vis des soins prodigués4,5.
Quelles leçons pouvons-nous tirer des expériences de soins palliatifs lors de précédentes pandémies ou autres crises humanitaires?
Dans le passé, les événements ayant causé de nombreuses victimes, comme les attaques terroristes, les catastrophes naturelles ou les épidémies, ont littéralement paralysé les systèmes de santé qui se sont retrouvés dans l’impossibilité d’offrir le même accès aux soins pour tous. En général, ces situations appartiennent à l’une des catégories suivantes : la catégorie « big-bang » fait référence à des catastrophes aériennes ou ferroviaires, tandis que la catégorie « tsunami » fait référence aux épidémies virales6. L’objectif principal d’une réponse coordonnée des autorités de la santé publique et de la planification en cas de désastre est (à juste titre) de sauver le plus grand nombre de vies possible. Or, malgré un imposant corpus de littérature scientifique et une vaste expérience en matière de triage, peu de choses ont été écrites sur la prise en charge des personnes à qui on n’offre aucune mesure de maintien de la vie. En effet, le personnel soignant et la population ressentent de l’anxiété face aux protocoles de triage qui pourraient priver certains patients de toute forme de soins, voire abréger leurs jours intentionnellement sans leur consentement2. C’est ce qui rend la notion même de triage encore plus tragique lors d’une pandémie : les patients se voient d’emblée refuser un traitement de maintien de la vie sans pour autant bénéficier d’un soulagement approprié de leurs symptômes. Ils meurent au mauvais moment, au mauvais endroit et il se peut qu’ils ne reçoivent pas les bons soins. Il faudrait toujours considérer l’accès aux soins palliatifs de qualité comme un droit humain fondamental7, mais dans un contexte de triage, nous avons encore plus l’obligation de fournir des soins palliatifs aux personnes qui ne peuvent pas bénéficier de mesures de maintien de la vie. Les expériences passées de pandémies virales, comme le virus Ebola, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et le VIH, nous rappellent à quel point il est essentiel d’intégrer les soins palliatifs à toute intervention en santé8–10.
Comment offrir des soins palliatifs durant une pandémie?
En 2008, le US Task Force on Mass Casualty Critical Care a publié un cadre de gestion des événements causant de nombreuses victimes; ce cadre repose sur l’équipement médical, les effectifs spécialisés, les lieux de soins et les systèmes de santé11 et a été adapté au contexte des soins palliatifs2. En tant que professionnels chevronnés en soins palliatifs, nous considérons important d’ajouter 4 autres éléments : la sédation, l’angoisse de séparation, la communication et l’équité (encadré no 1).
Plan d’action sur les soins palliatifs en période de pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19; mise à jour de Downar et Seccareccia2)
Équipement médical
Faire des réserves de médicaments pour les soins de confort (morphine, halopéridol, midazolam et scopolamine) ou de trousses pour le soulagement des symptômes, surtout dans les établissements de soins de longue durée et communautaires.
Suspendre les règlements qui limitent la disponibilité et la prescription de morphine et d’hydromorphone injectables.
Faire des réserves de fournitures pour l’administration des médicaments, y compris des cathéters sous-cutanés et autres dispositifs (p. ex., pompes à perfusions ou seringues rétractables préremplies).
Faire des réserves d’équipements de protection individuelle pour les professionnels en soins palliatifs dans les établissements de soins de longue durée et communautaires.
Effectifs spécialisés
Identifier et mobiliser tous les médecins ayant une expérience en soins palliatifs.
Fournir aux intervenants de première ligne une brève formation sur le soulagement des symptômes respiratoires aigus, en rappelant l’innocuité des opioïdes administrés comme intervention précoce en fonction de l’intensité des symptômes.
Motiver les autres professionnels de la santé à offrir un soutien émotionnel aux patients et aux familles endeuillées.
Lieux de soins
Optimiser l’utilisation de lits dans les unités de soins palliatifs, particulièrement pour les patients qui ne sont pas atteints de COVID-19, en les admettant directement des services des urgences ou de la communauté.
Dans les milieux de soins actifs, identifier les unités et les zones non cliniques qui pourraient être appropriées pour les patients condamnés par la maladie — pour ainsi dire, des unités de soins palliatifs pour patients atteints de COVID-19.
Systèmes de santé
Adopter un système de triage pour déterminer quels patients doivent être vus en soins palliatifs spécialisés et lesquels peuvent bénéficier de la télémédecine.
Maximiser l’utilisation de la télémédecine, pour l’efficience et la prévention des infections.
Développer des ensembles d’ordonnances standardisées pour les soins actifs, de longue durée et communautaires.
Former des « équipes » de professionnels en soins palliatifs pour assurer un soutien mutuel et le remplacement éventuel d’un médecin malade ou surchargé.
Sédation
Se préparer à utiliser la sédation palliative pour soulager les symptômes réfractaires aux médicaments de confort d’usage courant.
Angoisse de séparation
Faciliter la communication par vidéoconférence entre les patients et leurs proches séparés en raison de l’interdiction des visites ou des déplacements.
Communications
Les patients fragiles ou atteints de comorbidités devraient mettre à jour leurs directives médicales anticipées et indiquer s’ils préfèrent ne pas être transférés dans un hôpital ou une unité de soins intensifs en cas de maladie grave.
Avant l’arrivée en masse des patients, les professionnels devraient revoir les plans de traitement des patients atteints de cancer au stade avancé, de stade terminal d’insuffisance organique, de fragilité ou de démence qui demandent des mesures de maintien de la vie ou la réanimation cardio-respiratoire. Il est peu probable que ces patients survivent ou se rétablissent après un passage aux soins intensifs.
Équité
Les professionnels en soins palliatifs devraient porter plus d’attention aux patients marginalisés. Lorsque le système de santé est à la limite de ses capacités, les iniquités systémiques s’aggravent.
Des protocoles de triage pour les soins intensifs peuvent être appliqués. Les patients à qui on refuse l’accès aux soins intensifs devraient bénéficier en priorité de soins palliatifs. Tous les patients doivent être soignés.
L’équipement médical fait référence aux médicaments requis pour assurer le confort d’un grand nombre de patients et les dispositifs d’administration nécessaires. Cela peut être problématique durant une pandémie de SRAS-CoV-2 parce que dans beaucoup de pays, il est interdit de constituer des réserves d’opioïdes faciles d’accès. De plus, les établissements de soins de longue durée ne disposent peut-être pas de quantités suffisantes de médicaments pour traiter plus que quelques patients à la fois pour une longue période, et ces médicaments pourraient ne pas être rapidement accessibles. Préparer et distribuer en nombre suffisant de « trousses de médicaments palliatifs » pourrait être une solution à ce problème, peu importe le contexte, lorsque les patients sont nombreux à risquer de ne pas survivre12,13. Idéalement, ces trousses incluraient des opioïdes pour soulager la douleur ou la dyspnée, de l’halopéridol pour les nausées ou un délire avec agitation, de la scopolamine pour les sécrétions bronchopulmonaires, de l’acétaminophène pour la fièvre et les frissons, et du midazolam pour la sédation (tableau 1). Les trousses devraient aussi inclure des cathéters sous-cutanés pour administrer ces médicaments. Des systèmes de perfusion (p. ex., pompes à perfusion ou seringues rétractables préremplies) devraient aussi être accessibles pour les patients qui ont besoin de médicaments en continu. Nous suggérons de faire des réserves d’un nombre suffisant de trousses dans des lieux appropriés pour en assurer l’accessibilité aux professionnels de la santé, y compris au personnel paramédical, au personnel des établissements de soins de longue durée et aux médecins de famille. L’équipement de protection personnelle (ÉPP) devrait aussi être disponible en quantité suffisante pour le personnel des soins palliatifs, surtout celui qui effectue des visites à domicile. Si les intervenants communautaires sont incapables de soulager leurs patients, ces derniers risquent d’être amenés dans des centres de soins actifs, ce qui exacerbera la crise davantage.
En ce qui concerne les effectifs spécialisés, étant donné que les équipes de soins palliatifs ne peuvent pas fournir des soins directs à tous les patients qui meurent durant une épidémie, la planification régionale en cas de pandémie devrait inclure la mobilisation de toutes les équipes soignantes interprofessionnelles qui ont une formation et de l’expérience en soins de fin de vie. Les intervenants en soins spirituels et les travailleurs sociaux devraient être prêts à gérer les besoins psychosociaux courants, comme le chagrin et le deuil. Pour augmenter la capacité, il faudrait offrir aux intervenants de première ligne une formation sur les soins de fin de vie pour les patients atteints de la COVID-19, notamment aux médecins de première ligne, aux infirmières praticiennes, aux intervenants paramédicaux, au personnel des services des urgences et aux infirmières des établissements de soins de longue durée. Cette formation devrait entre autres porter sur l’utilisation et l’ajustement des doses d’opioïdes pour la dyspnée. Plusieurs études ont porté sur l’innocuité et l’efficacité des opioïdes pour le traitement de la dyspnée dans la maladie pulmonaire en phase avancée14,15, l’amélioration de la mécanique respiratoire dans la maladie pulmonaire chronique15, et la réduction de la dyspnée et de la tachypnée sans augmentation du taux de dioxyde de carbone16,17. Tous les intervenants de première ligne devraient pouvoir utiliser rapidement des opioïdes en fonction du degré de dyspnée, sans attendre que l’insuffisance respiratoire se manifeste. La respiration est essentielle à la vie, pas la détresse respiratoire.
Un rapport de 2006 sur l’utilisation des soins palliatifs à Taiwan durant l’épidémie de SRAS a conclu que les lieux de soins palliatifs avaient tendance à être sous-utilisés18. Durant une épidémie, les personnes essaient d’éviter les établissements de soins de santé, et les systèmes de demande de consultation et de transport sont perturbés. Paradoxalement, même si plus de gens meurent, les circonstances pourraient les empêcher d’avoir accès à un lit de soins palliatifs. De nouveaux lieux de soins pourraient donc être nécessaires pour accueillir les nombreux patients qui décéderont d’insuffisance respiratoire associée à la COVID-19. Il pourrait s’agir d’unités hospitalières spécialisées ou d’un lieu distinct adjacent à un hôpital si le transport hospitalier est impossible. Les patients à domicile ou en soins de longue durée pourraient être soignés sur place, même s’ils doivent être confinés. On recommande un environnement calme et paisible pour respecter la dignité du patient qui en est aux dernières heures ou aux derniers jours de sa vie.
Il faut instaurer de nouveaux systèmes de santé, y compris un système de triage, pour affecter les médecins capables de fournir des soins palliatifs primaires et spécialisés afin de répondre à ces besoins (encadré no 2). Chez la plupart des patients atteints de pneumonie, la gestion des symptômes est simple; un ensemble d’ordonnances standardisées (tableau 1) et de paramètres de dosage (https://palliativecare.med.ubc.ca/coronavirus/) pourraient réduire le recours aux spécialistes. Les consultations virtuelles peuvent optimiser l’efficience et réduire le risque de contamination durant une pandémie, et les professionnels qui doivent s’isoler ou se mettre en quarantaine peuvent continuer d’offrir des soins. Les professionnels en soins palliatifs doivent aussi prévoir qu’ils pourraient devenir malades ou être appelés à remplacer des collègues malades ou en quarantaine. Étant donné que de nombreux professionnels en soins palliatifs travaillent seuls ou presque, cela pourrait avoir un effet dramatique sur la prestation des services. Les professionnels devraient former de plus grandes équipes d’intervenants en soins palliatifs (ou s’y joindre) pour compenser les affectations croisées et les fluctuations de la charge de travail. Cela faciliterait aussi la surveillance mutuelle du bien-être des intervenants.
Outil de triage suggéré pour une consultation en soins palliatifs spécialisés19
Tous les médecins qui prodiguent des soins palliatifs devraient répondre aux besoins physiques, sociaux, financiers et spirituels
Les professionnels qui ne sont pas des spécialistes en soins palliatifs (médecins hospitalistes, médecins de famille, internistes, intensivistes, infirmières praticiennes, personnel infirmier et paramédical) voient à ce qui suit:
Identification et soulagement de la douleur, de la dyspnée, du délire avec agitation et de la congestion respiratoire
Réconfort des proches endeuillés
Discussions sur le pronostic, les objectifs thérapeutiques, la souffrance et les volontés en matière de réanimation
Les médecins spécialistes en soins palliatifs voient à ce qui suit:
Patients présentant des symptômes complexes ou réfractaires
Patients à qui on refuse l’accès aux soins intensifs en raison d’un protocole de triage, même si ces patients souhaitent y recourir
Prise en charge de la dépression complexe, de l’anxiété, du chagrin et de la détresse existentielle
Critères pour la sédation palliative continue
Trouble préexistant lié à l’utilisation des opioïdes
Patients qui sont parents de jeunes enfants
Patients de populations marginalisées, p. ex., sans-abri, détenus et Autochtones pouvant être mal desservis par le système de santé
Si les symptômes de COVID-19 sont réfractaires aux médicaments d’usage courant, la sédation palliative est appropriée pour assurer le confort. La sédation palliative repose sur l’administration de sédatifs aux patients en fin de vie pour réduire leur niveau de conscience et éviter qu’ils souffrent. Les protocoles sont accessibles dans Internet20, et si leur charge de travail le permet, des consultants en soins palliatifs devraient soutenir les professionnels qui ont moins d’expérience en la matière. À notre avis, pour les patients qui présentent une grave insuffisance respiratoire causée par le SRAS-CoV-2, la sédation palliative est préférable à l’aide médicale à mourir (AMM) étant donné ses stricts critères d’admissibilité : période de réflexion de 10 jours, nombre de témoins et d’évaluateurs requis et aptitude au consentement. En tentant de répondre à une demande urgente d’AMM, on risque de prolonger les souffrances de patients à l’agonie.
Les mesures d’isolement, l’interdiction des visites et des déplacements pourraient causer une angoisse de séparation plus intense chez les patients mourants et leurs familles, ce qui s’est vu lors de l’épidémie de SRAS en 20039. Depuis, grâce aux progrès technologiques, les vidéoconférences existent et pourraient briser l’isolement chez nombre de patients. Nous suggérons aux établissements de santé de mettre des téléphones intelligents, des tablettes ou des portables et la connexion internet gratuite à la disposition de leurs patients pendant la pandémie. Bien sûr, la maladie empêchera certains patients d’utiliser les vidéoconférences. Les travailleurs sociaux et les intervenants en soins spirituels devraient donc offrir leur soutien à ces patients en priorité. De plus, si de l’équipement de protection individuelle (EPI) est disponible, nous suggérons d’autoriser les proches à visiter les patients. Nous devons aussi reconnaître que l’angoisse de séparation ne cessera pas à la mort du patient et qu’il faudra aider ses proches à vivre un deuil difficile et le chagrin qui l’accompagne.
Les patients qui sont fragiles, âgés ou qui ont plusieurs comorbidités risquent davantage de mourir du SRAS-CoV-2. Plusieurs de ces patients ne demanderont pas de mesures extraordinaires pour prolonger leur vie, comme la ventilation mécanique. Ils préféreront rester conscients, pouvoir communiquer, faire leurs adieux à leurs proches et éviter de leur être un fardeau21. Dans une situation où les ressources se font rares, les patients et les proches pourraient être surpris d’apprendre que l’on n’offrira pas de mesures de maintien de la vie. Il s’agit d’un scénario angoissant pour bien des médecins, et une attitude sensible et bienveillante pourrait atténuer la détresse des patients et des familles (encadré no 3). Par ailleurs, si on les informe que leurs chances de survivre à cette maladie grave sont faibles, ils pourraient d’emblée refuser tout acharnement thérapeutique22. Donc, au moment d’évaluer des patients gravement atteints d’insuffisance respiratoire causée par le SRAS-CoV-2, il sera important pour tous les médecins de veiller à ce que les traitements proposés soient cliniquement indiqués et conformes aux volontés et aux attentes du patient (encadré no 4). Le premier cas de mortalité lié à la COVID-19 au Québec est celui d’une femme âgée qui ne souhaitait pas d’interventions énergiques. Sa décision a été prise après discussion avec l’équipe soignante alors qu’elle était sous traitement optimal23.
Explication suggérée aux médecins pour un patient ou ses proches si les soins intensifs sont inaccessibles en raison d’un manque de ressources
« En temps normal, lorsque quelqu’un présente une maladie grave, l’équipe médicale offrirait des soins intensifs (médicaments et appareils pour le maintien de la vie), dans la mesure où l’équipe estime que le patient a une chance de survie raisonnable. Toutefois, l’épidémie de COVID-19 nous empêche actuellement d’offrir les soins intensifs à tous les grands malades. Notre hôpital observe les directives de triage, cela signifie que nous offrons les soins intensifs uniquement aux patients les plus susceptibles de survivre à cet épisode critique et de guérir. Vous avez probablement entendu cela aux bulletins de nouvelles — tous les hôpitaux de la région appliquent ces directives.
J’ai le regret de vous informer qu’à l’heure actuelle, nous sommes dans l’impossibilité d’offrir des traitements de soins intensifs en raison des directives de triage. Étant donné votre état de santé précaire, votre probabilité de survie, même avec des soins intensifs, est considérée comme trop faible pour que nous puissions vous les offrir. L’équipe a pris cette décision à partir de l’information suivante : ________________.
Je regrette profondément cette situation. Ce n’est pas la façon dont nous prenons habituellement ces décisions, et je peux m’imaginer ce que vous ressentez à l’heure actuelle. Je veux que vous sachiez que même si nous ne pouvons pas vous offrir les soins intensifs, nous ferons tout ce qu’il est possible pour que vous ayez une chance de vous rétablir, y compris : _______.
Et je vous promets que, quoi qu’il arrive, nous vous donnerons des médicaments pour soulager vos symptômes, qu’il s’agisse de douleur ou d’essoufflement. Nous savons que le soulagement approprié de l’inconfort est sans risque et peut même améliorer votre état. »
Explication suggérée d’un plan de traitement pour un patient qui a peu de chances de survivre à une maladie grave, mais dont le plan de soins actuel inclurait des mesures de maintien de la vie si nécessaire
« Vous souffrez (votre être cher souffre) actuellement de ___. Nous vous (lui) avons administré des traitements, y compris ____, mais il semble que votre (son) organisme n’y répond pas bien. Si les choses continuent ainsi, nous devrons envisager le recours à des traitements de maintien de la vie s’ils s’avèrent appropriés.
Je suis très inquiet de ce scénario; même s’il est très facile de commencer des traitements pour le maintien de la vie, souvent, nous préférons nous en abstenir parce que les chances de rétablissement sont faibles. C’est habituellement le cas lorsque quelqu’un souffre d’une maladie chronique ou incurable, ou lorsque l’organisme s’est affaibli. L’autre inquiétude est que ces traitements peuvent provoquer beaucoup d’inconfort. Bien sûr, des gens sont prêts à supporter l’inconfort s’ils ont une chance raisonnable de s’en sortir. Mais si les traitements provoquent de l’inconfort et que les chances de rétablissement sont faibles, nous hésitons à les offrir.
J’aimerais vous (lui) proposer une solution de rechange : nous pouvons continuer de vous (le) traiter comme nous le faisons présentement, y compris ______, dans l’espoir que vous y répondiez et que vous vous rétablissiez (qu’il y réponde et qu’il se rétablisse). Nous ne voulons pas nous priver de cette possibilité. Mais si votre (son) organisme ne répond pas et que votre (son) état s’aggrave, je propose de ne pas commencer de traitements pour le maintien de la vie. Si votre (son) état s’aggrave, je suggérerais plutôt que nous assurions votre (son) confort, en sachant que toute intensification des soins causerait plus de tort que de bien. Qu’en pensez-vous? »
L’équité est un important principe à appliquer lors du triage durant une pandémie. Déjà, en temps normal au Canada, pour les personnes qui sont structurellement vulnérables ou qui souffrent de grave maladie mentale, l’accès aux soins de santé est très difficile. En particulier, les patients qui ont besoin de soins palliatifs alors qu’ils sont en butte à des « déterminants sociaux » de la santé défavorables ont du mal à obtenir des soins23. Lors d’une pandémie, alors que notre système de santé est encore plus sous pression, les iniquités s’intensifient. Les personnes confrontées à la pauvreté, à la discrimination, aux barrières de langue et à des traumatismes historiques sont moins en mesure de faire valoir leurs droits et sont plus démunies lorsque des décisions difficiles doivent être prises en matière d’attribution des ressources. Ces patients en sont conscients; des études ont montré qu’ils craignent de ne pas avoir accès à des traitements de maintien de la vie25 et pourraient être jugés moins méritants26. Les soins palliatifs deviennent donc une option bienveillante pour compenser cette iniquité.
Conclusion
Les soins palliatifs devraient faire partie intégrante de tout plan d’intervention en temps de crise humanitaire, comme la pandémie actuelle de SRAS-CoV-2. Une approche pluridimensionnelle qui met l’accent sur l’équipement médical, les effectifs spécialisés, les lieux de soins, les systèmes de santé, la sédation, l’angoisse de séparation, la communication et l’équité peut guider la planification et répondre aux besoins en soins palliatifs des patients et de leurs proches. Tout système de triage qui n’intègre pas les principes de soins palliatifs commet une faute éthique. N’abandonnons pas les patients qui risquent de ne pas survivre, donnons-leur accès aux soins palliatifs comme à un droit humain fondamental.
Remerciements
Les auteurs remercient Mme Cécile Bensimon qui a relu et commenté ce manuscrit et la Dre Jill Rice qui a suggéré l’ensemble d’ordonnances présenté au tableau 1.
Footnotes
Balados CMAJ : entrevue en anglais à l’adresse https://soundcloud.com/cmajpodcasts/200465-ana et en français à l’adresse https://soundcloud.com/cmajpodcasts/200465-ana-fre
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200465
Intérêts concurrents: Sandy Buchman est président et membre du conseil d’administration de l’Association médicale canadienne. Il a reçu des honoraires de conférencier de l’Université de Toronto et d’Action Cancer Ontario et un soutien non financier de l’Israel National Institute for Health Policy Research. James Downar a reçu des honoraires de consultant de Joule et des honoraires de Boehringer Ingelheim (Canada). Amit Arya a reçu des honoraires de Pallium Canada pour la révision par les pairs de la documentation du cours LEAP (Les essentiels de l’approche palliative). Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été sollicité et il n’a pas été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont conçu le travail, rédigé le manuscrit original et révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Ce travail n’a bénéficié d’aucun financement.