Les travailleurs de la santé peuvent éprouver une grande détresse psychologique associée à la pandémie de COVID-19 du fait qu’ils prennent soin directement des patients; ils peuvent se sentir traumatisés comme tout le monde, en plus de subir les effets de la quarantaine ou de l’isolement volontaire.
Il faut un leadership fort et des messages clairs, honnêtes et ouverts pour calmer les peurs et les incertitudes.
Fournir des ressources adéquates (p. ex., matériel médical) et un soutien en santé mentale stimulera l’auto-efficacité et la confiance individuelles.
Le recours à la technologie permet d’offrir un soutien psychologique en ligne tout en respectant l’éloignement physique.
Souligner l’altruisme des travailleurs de la santé et leur dévouement au bien commun aidera les travailleurs de la santé à se rappeler leur mission en temps de crise.
D’énormes efforts sont déployés pour explorer la pathophysiologie, l’issue clinique et le traitement de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), mais les effets psychologiques de cette pandémie sur les travailleurs de la santé méritent aussi qu’on s’y attarde. L’expérience tirée de l’éclosion de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 et les premiers rapports au sujet de la COVID-19 montrent que les travailleurs de la santé éprouvent beaucoup d’anxiété, de stress et d’appréhension1,2. Les effets psychologiques de la pandémie actuelle dépendent de plusieurs facteurs, notamment l’incertitude quant à la durée de la crise, l’absence de traitement ou de vaccin éprouvés et la pénurie appréhendée de ressources, comme le matériel de protection individuelle. Les travailleurs de la santé sont également affectés par les répercussions négatives de l’éloignement social, qui se heurte à leur désir d’être présents pour leurs proches, et par la crainte de tomber malade ou de leur transmettre la maladie. Toutes ces inquiétudes sont amplifiées par la vitesse à laquelle l’information et la désinformation circulent sur le Web et dans les médias sociaux.
Les travailleurs de la santé peuvent éprouver une détresse psychologique du fait qu’ils prodiguent des soins directement à des patients atteints de la COVID-19, qu’ils connaissent quelqu’un qui a contracté la maladie ou qui en est décédé, ou qu’ils se retrouvent en quarantaine ou en isolement1–3. Pour préserver leur bien-être psychologique et en retour, nous assurer que les effectifs cliniques soient en bonne santé et solides, il est indispensable d’appliquer des stratégies d’atténuation de tous les scénarios évoqués.
On ne sera pas étonné que le personnel soignant qui travaille auprès de patients atteints de la COVID-19 fasse partie des individus les plus susceptibles d’éprouver une détresse psychologique. Un sondage mené auprès de 1257 infirmières et médecins ayant soigné des patients atteints de la maladie en Chine a révélé que ces professionnels (41,5 % des répondants) manifestaient de façon notable plus de symptômes de dépression, d’anxiété, d’insomnie et de détresse que les professionnels qui ne soignaient pas directement cette clientèle1. Une autre étude d’observation auprès de 180 travailleurs de la santé exerçant directement auprès de patients atteints de la COVID-19 a révélé des taux substantiels d’anxiété et de stress nuisant à la qualité du sommeil et à l’auto-efficacité4. Fait à noter, ceux qui ont signalé disposer d’un solide réseau social présentaient moins de stress et d’anxiété, et une meilleure auto-efficacité4. Une étude qualitative menée auprès de médecins résidents durant l’éclosion de SRAS en 2003, à Toronto, a révélé que l’anxiété concernant la sécurité personnelle et le risque de contamination des êtres chers entraient en conflit avec le devoir professionnel de soigner5. Cela rappelle la complexité des enjeux auxquels les travailleurs de la santé font face et la dissonance cognitive avec laquelle ils sont aux prises. Et le personnel soignant qui ne travaille pas directement auprès de patients atteints de la COVID-19 n’est pas à l’abri de tels effets psychologiques et pourrait se sentir aussi traumatisé que le commun des mortels6. Selon une hypothèse, cela pourrait être lié à une inquiétude pour les patients atteints, pour les collègues à risque6 et pour soi-même et ses proches.
Une lettre au rédacteur en chef de Psychiatry and Clinical Neurosciences7, ainsi qu’une étude qualitative réalisée dans un centre hospitalier universitaire pendant l’éclosion de SRAS8 ont décrit des mesures visant à atténuer les répercussions psychosociales négatives sur les travailleurs de la santé et dégagé des thèmes souvent repris dans d’autres études sur cette situation. La clarté et la rapidité des messages émis par les hôpitaux ont aidé à gérer les réactions des travailleurs de la santé en lien avec l’incertitude ou la peur8. Les communications fréquentes, sans minimiser la situation, ont aussi aidé5,7,8. Tout en reconnaissant le climat d’incertitude, le leadership des hôpitaux, les services de prévention et de contrôle des infections et autres instances doivent faire preuve de transparence et de souplesse et formuler des plans clairs, fondés sur des données probantes afin de stimuler la confiance, l’assurance et l’auto-efficacité des travailleurs. Cela inclut les marches à suivre hospitalières et la distribution de fournitures et de matériel appropriés dans un contexte de pénurie appréhendée2,5,7,8.
Un soutien psychiatrique a été offert à des travailleurs de la santé pendant l’éclosion de SRAS, d’abord à titre informel, puis par le biais de lignes téléphoniques confidentielles et de centres sans rendez-vous8. Les règles actuelles d’éloignement physique obligent à des ajustements pour ce type d’interventions, en misant sur la technologie moderne (p. ex., vidéo- et audioconférences). À la fin de mars 2020, des travailleurs en santé mentale ontariens ont mis en ligne des services confidentiels gratuits pour soutenir les travailleurs de la santé qui soignent des patients atteints de la COVID-199. Mais des changements systémiques (c.-à-d., politiques de sécurité des hôpitaux et ressources adéquates) produiront probablement plus d’effet que le soutien individuel, puisqu’il peut devenir difficile d’offrir un counselling aux volumineuses cohortes de travailleurs de la santé affectés. L’encadré no 1 dresse une liste de ressources pour les travailleurs de la santé qui souhaitent obtenir un soutien psychologique.
Ressources pour venir en aide aux travailleurs de la santé
Association médicale canadienne : Pour assurer votre bien-être et celui de votre famille en temps de pandémie. Accessible ici : https://www.cma.ca/fr/pour-assurer-votre-bien-etre-et-celui-de-votre-famille-en-temps-de-pandemie
Association médicale canadienne : Programme provincial de santé des médecins. Accessible ici : https://www.cma.ca/fr/programme-provincial-de-sante-des-medecins
Société canadienne de psychologie : La psychologie peut aider à faire face à la COVID-19. Les psychologues redonnent aux fournisseurs de services de première ligne. Accessible ici : https://cpa.ca/fr/corona-virus/psychservices/
Un survol rapide des données probantes existantes a révélé que les travailleurs de la santé qui sont en isolement volontaire ou en quarantaine rapportent des symptômes de syndrome de stress post-traumatique, de dépression, de stigmatisation et de soucis financiers3. Faute de soutien approprié, ces symptômes pourraient être passés sous silence et exacerber le risque de transmission dans les hôpitaux par ceux qui, en dépit des recommandations, continuent de travailler même s’ils sont malades. Un réseau social solide peut atténuer le sentiment d’isolement3, et les appels vidéo et réunions virtuelles permettent de maintenir des liens sociaux tout en préservant l’éloignement physique. D’autres mesures d’atténuation pourraient inclure la distribution de fournitures générales et médicales, la réduction de l’isolement à la plus courte durée nécessaire et un rappel que l’altruisme et la recherche du bien commun sont des valeurs centrales de la profession3. Des étudiants en médecine partout au Canada font preuve d’altruisme en offrant leurs services (p. ex., faire des courses, livrer l’épicerie ou prendre soin des enfants) aux travailleurs de la santé qui en ont besoin10 et en travaillant bénévolement à la recherche de contacts11. Toutes ces interventions peuvent atténuer les répercussions néfastes de la quarantaine ou de l’isolement et contribuer à préserver le bien-être et la bonne forme des travailleurs de la santé pour qu’ils puissent revenir au travail lorsqu’ils seront en mesure de le faire.
Le soutien aux travailleurs de la santé sous toutes ses formes est indispensable pour maintenir des effectifs fonctionnels durant la pandémie au Canada. Il faut savoir prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin d’autrui.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200519
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article n’a pas été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Peter Wu a écrit l’ébauche originale de ce manuscrit. Tous les auteurs ont contribué à la conception du travail, ont organisé les données, révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.