Une préparation rapide à un afflux soudain de patients dans les services des urgences en milieu rural pendant la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est essentielle. Toutefois, il n’existe actuellement pas de recommandations canadiennes précises et pratiques sur la préparation pour les gestionnaires et le personnel des services des urgences en milieu rural.
Notre approche de préparation pour le service des urgences de l’hôpital en milieu rural de Carbonear (T.-N.-L.) pour faire face à la pandémie de COVID-19 pourrait servir de modèle.
Notre planification de la réponse à la pandémie est caractérisée par une forte collaboration entre les administrateurs, le chef des services cliniques et le personnel de première ligne ainsi que par l’optimisation des modes de communication.
Le personnel des services des urgences en première ligne est touché psychologiquement et physiquement pendant une pandémie. Notre plan de réponse tient compte de toutes les ressources disponibles pour les soutenir.
En raison de stocks limités d’équipement de protection individuelle (EPI), nous avons reconfiguré nos activités pour en optimiser l’utilisation.
Pour faire face à la pandémie en cours, l’Organisation mondiale de la santé et les autorités sanitaires régionales et canadiennes ont publié des guides pour aider les établissements de santé à procéder au triage et au traitement des patients chez lesquels on soupçonne une infection par le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2)1–3. Le dépistage et le triage peuvent se faire avant l’admission à l’hôpital, à une clinique communautaire ou au service des urgences. Cependant, les directives canadiennes actuelles n’adressent pas de recommandations précises et pratiques aux gestionnaires et au personnel des services des urgences en milieu rural sur la préparation rapide à un afflux soudain de patients atteints de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) de manière à favoriser le bien-être du personnel, à conserver les réserves d’équipement de protection individuelle (EPI), à protéger les patients se présentant pour des urgences sans lien avec la COVID-19 et à mobiliser des sources externes de soutien3. Les hôpitaux en milieu rural ont des ressources matérielles et humaines limitées, sont souvent les derniers à recevoir les ressources accordées et peinent souvent à mettre en oeuvre des directives rapidement évolutives et inadaptées à leur réalité sur le contrôle de la transmission d’un nouveau pathogène dans la population et dans l’hôpital. Bien que les recommandations puissent prôner le transfert des patients gravement malades vers des centres régionaux tertiaires, le transfert immédiat de patients atteints de la COVID-19 peut être difficile au Canada. Par conséquent, les services des urgences en milieu rural devraient être prêts à prendre en charge une large cohorte de patients atteints de la COVID-19. Nous présentons ici l’approche de préparation du service des urgences de l’hôpital en milieu rural de Carbonear (T.-N.-L.) pour faire face à la pandémie de COVID-19 comme un modèle que d’autres pourront adopter.
L’hôpital de Carbonear compte 80 lits et offre des services d’urgence et des services internes à près de 40 000 personnes. Le service des urgences compte 8 civières et 3 tables d’examen grandement utilisées, pour un volume quotidien moyen de 80 patients4. Pour chaque quart de travail, l’équipe du service des urgences se compose d’un médecin de famille en soins primaires qui pratique la médecine des urgences, d’un médecin en soins secondaires, d’un infirmier-praticien et d’un maximum de 4 infirmiers ou infirmières.
L’annexe 1 (accessible au www.cmaj.ca/lookup/suppl/doi:10.1503/cmaj.200509/-/DC1) décrit le plan de préparation et de réponse du service des urgences de Carbonear, qui fait appel à tout le personnel du service et comprend la prise en compte de la perspective des patients, une restructuration pour permettre l’isolement efficace des patients potentiellement atteints de la COVID-19, des méthodes de soutien du personnel de première ligne sur les plans de la charge de travail et du bien-être, une revue des mesures de sécurité, la prise en compte des effets potentiels de l’infection d’un travailleur de la santé et d’une équipe réduite en raison de l’isolement volontaire, et la création d’un modèle prévisionnel pour anticiper les afflux.
L’objectif principal de la planification des activités du service des urgences pendant la crise de la COVID-19 était de réduire le risque de transmission et de maintenir raisonnablement le flot des patients dans le service.
Une équipe comptant des gestionnaires, le chef de clinique et du personnel de première ligne a été mise sur pied pour créer immédiatement un plan d’action afin de rallier les intervenants appropriés et de planifier une réponse rapide. Nous avons saisi l’occasion de soulever des questions et de formuler des préoccupations en lien avec le plan de contingence du service des urgences pendant les séances de planification, qui se sont tenues au service des urgences avec tout le personnel présent à ce moment. Des décisions ont été prises et des changements importants ont été faits en fonction de cette discussion et ont rapidement mené à un plan d’action visant l’adaptation au nombre et à la gravité des cas qui surviendraient. Nous avons discuté des restructurations possibles du service pour optimiser le contrôle et la prévention des infections (figure 1), et les espaces adjacents qui permettraient d’isoler les patients atteints d’une maladie respiratoire.
Nous avons décidé de créer un centre respiratoire en réaffectant des bureaux occupés par le service de chirurgie. Nous avons aussi improvisé une chambre à pression négative au poste de traumatologie du service des urgences pour délimiter un espace séparé où le personnel soignant porterait un EPI complet.
Nous avons adopté une approche flexible et adaptative en ciblant les médecins dont la charge de travail était faible en raison de la fermeture des services de santé non urgents. Cette approche visait à pallier le manque de ressources provoqué par les restrictions de travail et de déplacement pour les remplaçants et les fournisseurs de soins qui oeuvrent dans plus d’un milieu. Elle a aussi été appliquée aux infirmiers autorisés, aux infirmiers-praticiens, aux auxiliaires médicaux et aux équipes d’entretien pour assurer la continuité des services dans le cas où il faudrait remplacer temporairement des membres du personnel en raison d’une quarantaine.
Nous avons aussi étudié les modes de communication existants (p. ex., tableau d’affichage, téléphone, courriel, texto) afin de mettre en évidence la méthode la plus rapide et la plus fiable pour informer le personnel des dernières directives et décisions administratives et des meilleures preuves disponibles appuyant ces décisions. Nous avons déterminé que l’affichage au tableau du service des urgences et la communication par courriel avec les autres membres du personnel et les médecins étaient les manières les plus rapides et efficaces de tenir tout le monde informé. Nous nous sommes aussi intéressés à la meilleure manière d’utiliser la plateforme SurgeCon pour gérer les afflux de patients et faciliter les communications entre la première ligne et l’équipe administrative4.
La plateforme SurgeCon est un système de santé virtuelle créé à Terre-Neuve-et-Labrador qui permet de gérer les afflux au service des urgences en suivant activement les temps d’attentes selon le caractère urgent des cas, la demande (p. ex., nombre de patients qui n’ont pas encore été vus par un médecin et nombre de patients en attente de triage) et les ressources disponibles (p. ex., nombre de lits occupés aux urgences, nombre de lits d’hôpital disponibles et nombre de patients admis en attente d’un transfert)4. La plateforme comprend un protocole de première ligne, qui génère des tâches (par des algorithmes de traitement des données) pour le personnel du service des urgences afin de réduire les temps d’attente et d’améliorer le flot des patients4.
Le plan d’action de notre service des urgences a été opérationnalisé en 36 heures. Nous continuons de surveiller les cas d’infection par le SRAS-CoV-2 actuels et futurs présentés dans les rapports du gouvernement provincial et les données sur le rendement du service pour déterminer si nous devons nous adapter à la situation changeante. Nous avons mobilisé des ressources administratives et cliniques selon les prévisions provinciales sur la COVID-19 et les données sur le rendement du service des urgences (p. ex., création d’un centre d’activités d’urgence pour l’hôpital, courtes rencontres plus fréquentes pour le personnel de première ligne et quantité toujours plus grande de personnel d’entretien nécessaire pour le réaménagement et la désinfection des lieux).
Nous avons discuté des mesures de prévention pour le personnel afin de réduire la possibilité de transmission à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital. En établissant des zones d’isolement délimitées physiquement au service des urgences, on a pu réduire la quantité d’EPI utilisé lors de procédures générant des aérosols. Le type d’EPI à porter dans chaque zone a été établi selon les directives de l’autorité sanitaire de la région de l’Est de Terre-Neuve-et-Labrador5.
Comme nous nous soucions du bien-être psychologique du personnel, nous avons planifié des rencontres régulières par téléconférence pour parler de tous les besoins existants ou nouveaux. De plus, nous avons préparé les membres du personnel à s’attendre à un niveau d’isolement social accru et à la possibilité qu’ils provoquent de l’anxiété chez les membres du public en dehors du travail parce qu’ils sont susceptibles d’être reconnus comme des travailleurs de première ligne en raison du manque d’anonymat caractéristique des régions rurales et éloignées. Nous avons donné au personnel les coordonnées de l’équipe d’intervention rapide de l’autorité sanitaire de la région de l’Est, qui offre du soutien psychologique, technique et clinique par de courtes évaluations ou des visites sur place. Nous leur avons aussi présenté les ressources en santé mentale créées spécialement pour les travailleurs de la santé6.
Le service des urgences sera probablement la première ressource de nombreux patients infectés par le SRAS-CoV-2. Nous devons continuer de travailler dans le cadre d’un plan de réponse régional, et il sera essentiel de planifier notre autonomie dans le cas d’un afflux de patient. Les mesures prises de manière proactive par le service des urgences de Carbonear pour permettre une réponse efficace à une hausse potentielle du nombre de patients nécessitant des soins d’urgence tout en garantissant la sécurité des patients et du personnel pourraient être utiles à d’autres hôpitaux en milieu rural.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200509
Baladodiffusion du CMAJ : Entrevue avec les auteurs à l’adresse : https://soundcloud.com/cmajpodcasts/200509-com
Intérêts concurrents: Christopher Patey et Paul Norman sont les fondateurs de SurgeCon Innovations. Christopher Patey et Shabnam Asghari sont les investigateurs principaux, Oliver Hurley est coordonnateur de la recherche et Paul Norman collabore à un projet appelé SurgeCon : An Emergency Department Surge Management Platform, financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Paul Norman a un accord de partage des redevances avec MOBIA Technology Innovations et l’autorité sanitaire de la région de l’Est de Terre-Neuve-et-Labrador.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Paul Norman et Christopher Patey ont conçu l’idée présentée. Shabnam Asghari et Oliver Hurley ont créé le cadre théorique et rédigé le manuscrit. Tous les auteurs ont participé à la rédaction du manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée, et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Les auteurs reçoivent actuellement de l’aide financière des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, de l’autorité sanitaire de la région de l’Est, de l’Université Memorial et de Trinity Conception Placentia Health Foundation pour le développement continu de la plateforme SurgeCon dans le but de réduire les temps d’attentes et d’améliorer la satisfaction des patients aux urgences.
Remerciements: Les auteurs remercient tous les fournisseurs de soins de première ligne et tous les gestionnaires du service des urgences de Carbonear.