Selon de récentes estimations, de 62 % à 82 % des décès attribuables à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) au Canada sont survenus chez des résidents d’établissements de soins continus (notamment les résidences pour personnes âgées, les centres d’hébergement et de soins de longue durée [CHSLD] et autres centres d’hébergement adaptés)1,2. En Ontario, 5 travailleurs de la santé sur les 7 qui sont décédés de la COVID-19 étaient préposés dans des établissements de soins continus3. Les rapports selon lesquels, faute de personnel, des résidents de ce type d’établissements ont été abandonnés à leur sort sont tout simplement horrifiants4.
À tous points de vue, ce qui est arrivé dans le secteur des soins continus est une tragédie nationale. Même si ce taux de mortalité élevé dû à la COVID-19 chez les résidents des établissements de soins continus était prévisible compte tenu de leur âge, de leur fragilité et de leurs comorbidités, le phénomène n’aurait jamais dû prendre une telle ampleur. Dans notre prise en charge des répercussions actuelles de la COVID-19 sur le secteur des soins continus, nous devons nous assurer de corriger également les problèmes sous-jacents que la maladie y a mis au jour.
De nombreux décès auraient pu être évités si, pour préparer les établissements de soins continus en prévision de la COVID-19, on avait déployé les mêmes efforts que pour le secteur hospitalier (efforts qui semblent avoir porté fruit). Les mesures qui auraient pu protéger les résidents vulnérables et le personnel, par exemple, n’assigner les préposés qu’à un seul centre et instaurer des mesures de dépistage intensives, n’ont été appliquées qu’après le début des éclosions. Les établissements auraient dû recevoir un soutien à la planification pour savoir où transférer leurs résidents testés positifs au coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) et comment assurer l’éloignement social des résidents souffrant d’atteintes cognitives. Il est inexcusable que l’on n’ait pas veillé à ce qu’il y ait suffisamment d’équipement de protection individuelle (EPI) adéquat pour les établissements de soins continus, et que l’on n’ait pas donné de directives quant à son utilisation obligatoire dans les milieux où le risque d’infection était élevé.
Ce manque de préparation des soins continus à faire face à la pandémie repose sur de nombreux problèmes systémiques. De tout temps, la société canadienne a négligé les travailleurs de la santé de ce secteur, qui se composent en majeure partie de femmes racialisées, sous-payées pour l’important travail qu’elles accomplissent. Dans certains cas, les préposés qui prodiguent au quotidien les soins personnels, le soutien psychologique et bien d’autres services aux résidents gagnent aussi peu que 14 $ l’heure. Ce maigre salaire en force plusieurs à prendre des quarts de travail dans différents établissements de soins pour joindre les deux bouts, ce qui a contribué à la propagation du SRAS-CoV-2 entre les établissements. De nombreux résidents de ces établissements vivent en chambres partagées et le personnel se voit obligé de prendre en charge plus de patients qu’il ne devrait5, ce qui rend encore plus difficile le contrôle de la propagation des maladies infectieuses. Même avant la pandémie de COVID-19, les éclosions d’infections respiratoires étaient fréquentes chez les résidents des établissements de soins continus6. Il n’est donc pas surprenant d’y observer des taux élevés de COVID-19.
Le manque de coordination et de collaboration entre les secteurs des soins aigus et des soins continus dans plusieurs provinces a aussi contribué au manque d’EPI, aux pénuries de fournitures pour les tests de dépistage du SRAS-CoV-2 et d’effectifs dans les établissements de soins continus. L’Alberta est une exception : son système de santé provincial y a permis une réponse plus coordonnée à la COVID-19 dans tout le continuum des soins7.
Après la COVID-19, les systèmes de santé canadiens devront changer pour toujours. Le bilan tragique des morts survenus parmi les résidents des établissements de soins continus doit placer ce secteur au sommet des priorités lors du processus de planification, et non pas au bas comme c’est le cas depuis toujours. Une première étape serait de verser un salaire plus équitable au personnel concerné. Récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a réagi en accordant à tous les préposés le salaire des préposés syndiqués des établissements de santé publique (soit 24,83 $/h comme salaire de base)8. Il reste à voir si ce changement sera permanent et s’il sera adopté ailleurs au pays. L’équité salariale devrait s’accompagner de l’ajout de personnel et de l’adoption d’approches plus axées sur la personne afin d’offrir de meilleurs soins aux résidents qui ont des besoins médicaux, cognitifs et fonctionnels toujours plus complexes5. Des soins axés sur la personne incluent davantage d’occasions d’interactions et d’activités significatives, plus d’autonomie pour le personnel et la promotion d’un environnement plus convivial et moins institutionnel9.
Il est important également d’apporter des changements aux principes et à l’aménagement physique des établissements de soins continus pour améliorer la qualité de vie de celles et ceux qui y résident et qui y travaillent10. Il est possible de développer et d’intégrer de nouvelles technologies conçues spécifiquement pour le contexte des soins continus et qui facilitent l’interaction sociale et le suivi médical en cette période incontournable d’éloignement social. Il faut de nouvelles normes concernant la taille des bâtiments et l’aménagement des chambres pour offrir une bonne qualité de vie, même en temps d’éloignement social.
La mort prématurée des résidents d’établissements de soins continus, que nous avons échoué à protéger de la COVID-19, est un appel à l’action. Ces personnes ont construit ce pays. Elles méritaient mieux, tout comme celles et ceux qui vivent et travaillent actuellement dans les établissements de soins continus.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201017
Intérêts concurrents: voir www.cmaj.ca/site/misc/cmaj_staff.xhtml