De récentes études de cohorte indiquent que les patients atteints de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) ainsi que d’hypertension ou de diabète courent un risque accru d’insuffisance respiratoire et de décès; ces patients sont souvent traités par l’administration d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (ISRAA).
Sachant que le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) pénètre dans les cellules humaines en utilisant comme récepteur la protéine de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA2) liée à la membrane et que l’expression cellulaire de l’ECA2 peut être accrue chez les patients diabétiques qui reçoivent des IECA et des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II, certains se sont demandé si la prise d’ISRAA augmentait les préjudices chez les patients atteints de la COVID-19.
On note toutefois que les études existantes risquent d’avoir été influencées par un biais de sélection, des facteurs de confusion non mesurés et un biais de temps immortel, ce qui rend impossible l’établissement d’un lien causal.
Le retrait brusque ou la substitution des ISRAA pourrait aggraver l’état des patients chez qui ces médicaments très utiles sont indiqués.
En attendant la diffusion de données probantes de grande qualité guidant les choix quant à la suspension ou à la substitution de ces médicaments, les sociétés internationales de médecine cardiovasculaire, de néphrologie et de diabétologie ont publié des documents dans lesquels elles recommandent ou préconisent fortement la poursuite des traitements pendant la pandémie de COVID-19.
Selon des données émergentes, les personnes hypertendues ou diabétiques qui contractent le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) et qui reçoivent un diagnostic de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) courent un risque accru d’insuffisance respiratoire et de décès. Souvent, ces patients prennent des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (ISRAA), comme des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA), ce qui a suscité d’importants questionnements sur la contribution potentielle de ces médicaments aux issues négatives observées chez les patients atteints de la COVID-19. On ignore si les préjudices hypothétiquement imputés aux ISRAA sont dus à la capacité de ces médicaments de faciliter l’infection en modifiant l’expression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA2, utilisée par le SRAS-CoV-2 pour pénétrer les cellules humaines), à la maladie sous-jacente ou à d’autres facteurs. Même s’il faut de toute urgence procéder à des études de grande qualité pour éclairer nos pratiques de prescription d’ISRAA chez les patients atteints de la COVID-19 ou de la contracter, les sociétés internationales recommandent à l’unanimité, pour le moment, de ne pas modifier les traitements en cours. Nous présentons ici les données disponibles, des principes cliniques et physiologiques et des conseils d’experts au sujet des ISRAA et de la COVID-19.
De récentes études de cohortes ont montré que les patients atteints de la COVID-19 ainsi que d’hypertension ou de diabète courent un risque accru d’insuffisance respiratoire (risque relatif [RR] non ajusté : 1,82–2,34) et de décès (rapport de cotes [RC] non ajusté : 2,85–3,05)1,2. Dans la plus grande étude de cohorte à ce jour, qui portait sur 4103 patients atteints de la COVID-19 à New York, les rapports de cotes ajustés pour l’hospitalisation et la maladie grave étaient respectivement de 1,23 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 0,97–1,57) et de 0,95 (IC à 95 % : 0,68–1,33) en ce qui concerne l’hypertension, et respectivement de 2,81 (IC à 95 % : 2,14–3,72) et de 1,14 (IC à 95 % : 0,83–1,58) en ce qui concerne le diabète3. Plusieurs sociétés professionnelles internationales recommandent l’administration d’IECA (ou d’ARA) comme traitement de première intention pour la prise en charge de l’hypertension et du diabète chez les adultes4. Ces observations initiales ont soulevé 2 questions importantes : les ISRAA causent-ils des préjudices aux patients atteints de la COVID-19? Et, le cas échéant, quel en serait le mécanisme?
Trois concepts physiologiques clés sous-tendent l’hypothèse selon laquelle les IECA et les ARA pourraient être associés à des résultats négatifs chez les patients atteints de la COVID-19. D’abord, le SRAS-CoV-2 pénètre dans les cellules en utilisant la protéine ECA2, un récepteur lié à la membrane5. Ensuite, l’ECA2 est exprimée dans les pneumocytes humains (ainsi que dans les cellules épithéliales intestinales, rénales et vasculaires). Finalement, l’expression de l’ECA2 pourrait être accrue chez les patients diabétiques traités par IECA et ARA6. Ensemble, l’expression différentielle de l’ECA2 chez les patients présentant certaines comorbidités (diabète, hypertension) et l’exposition aux médicaments (IECA, ARA) pourraient avoir des issues cliniques plus défavorables chez certains groupes de patients.
Plusieurs questions légitimes ont été soulevées quant à la qualité des données qui établissent un lien entre les ISRAA et des issues négatives chez les patients atteints de la COVID-19. Premièrement, l’âge avancé est l’un des plus importants facteurs de risque de décès des suites de la COVID-193. La présence de plusieurs comorbidités chroniques, comme l’hypertension, le diabète et l’insuffisance cardiaque (souvent traitées par ISRAA), est également plus fréquente chez les patients âgés gravement atteints et chez ceux décédés de la COVID-193. On ignore donc si les préjudices hypothétiques associés aux ISRAA sont le fruit d’une certaine confusion due à un manque de prise en considération, dans les études antérieures, de la prévalence des comorbidités en fonction de l’âge, des indications de ces médicaments ou d’autres facteurs non mesurés5–7. Une récente étude de cohortes rétrospective portant sur 1128 patients hospitalisés pour la COVID-19 indique que les patients qui ont reçu des IECA ou des ARA pendant leur hospitalisation s’en sont mieux tirés que ceux n’en ayant pas reçu8. Toutefois, ces observations sont peu susceptibles d’illustrer un lien causal; elles témoigneraient plutôt de différents types de biais de sélection, de facteurs de confusion non mesurés et d’un biais de temps immortel9.
Deuxièmement, les données sont contradictoires en ce qui concerne les effets de l’inhibition du SRAA sur l’expression de l’ECA2 et son lien avec les issues cliniques de la COVID-19, y compris le rôle potentiel des IECA et des ARA dans l’augmentation de l’incidence de l’infection par le SRAS-CoV-26. L’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 est une enzyme contre-régulatrice principalement responsable du clivage de l’angiotensine II en angiotensine (1–7), en atténuant ainsi les effets sur la vasoconstriction et la rétention sodée. Cependant, les IECA et les ARA exercent des effets opposés sur l’angiotensine II, ce qui pourrait entraîner des différences dans l’expression et l’activité de l’ECA2. Des données tirées d’expériences sur des animaux indiquent que l’inhibition du SRAA accroît l’expression de l’ECA2, mais on dispose de données limitées pour appliquer cette observation à l’être humain6. L’importance physiologique de l’ECA2 peut aussi être différente selon le tissu, et on ne dispose pas de données suffisantes sur les effets de l’inhibition du SRAA sur l’ECA2 pulmonaire. Ce qui complique les choses davantage, c’est que selon certaines données, l’ECA2 exercerait un effet protecteur contre la COVID-19. Après qu’un patient a contracté le SRAS-CoV-2, l’ECA2 diminue, et selon une hypothèse, l’angiotensine II non régulée entraînerait une atteinte tissulaire6. Des essais cliniques s’intéressant à l’ECA2 recombinante et au losartan comme traitements potentiels de la COVID-19 sont en cours et pourraient répondre à ces importantes questions.
Troisièmement, l’arrêt brusque ou la substitution des ISRAA pourrait nuire davantage aux issues des patients chez qui ces médicaments sont indiqués. Des données probantes de grande qualité tirées de plusieurs essais cliniques randomisés montrent clairement que les ISRAA réduisent la mortalité chez les patients atteints de maladie cardiovasculaire. Des données indiquent aussi que l’arrêt du traitement après un infarctus du myocarde et le sevrage du traitement de l’insuffisance cardiaque entraînent une décompensation clinique6.
On ignore de quelle façon les médecins et les patients modifient leur utilisation des ISRAA pendant la pandémie de COVID-19. En attendant la diffusion de données probantes de grande qualité guidant les choix quant à la suspension ou à la substitution de ces médicaments, les sociétés internationales de médecine cardiovasculaire, de néphrologie et de diabétologie ont publié des documents dans lesquels elles recommandent ou préconisent fortement la poursuite des traitements (annexe 1, accessible [en anglais] au www.cmaj.ca/lookup/suppl/doi:10.1503/cmaj.200619/-/DC1)10. Les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone sont utilisés à grande échelle et ont des effets bénéfiques avérés sur la survie de certains groupes de patients6. Dans l’ensemble, les données cliniques et expérimentales actuelles quant à l’impact de ces médicaments sur la prédisposition à l’infection au SRAS-CoV-2 ou quant à l’accroissement du risque de préjudices chez les patients atteints de la COVID-19 sont insuffisantes pour que l’on suggère d’en modifier l’utilisation.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200619
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Kieran Quinn a rédigé la première version du manuscrit. Tous les auteurs en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important l’article, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Avis de non-responsabilité: Nathan Stall est rédacteur adjoint au CMAJ et n’a pas participé aux processus décisionnels éditoriaux concernant cet article.