RÉSUMÉ
CONTEXTE: Les estimations du taux de létalité de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) varient grandement selon les populations. L’objectif était d’estimer et de comparer ce taux pour le Canada et les États-Unis en tenant compte de 2 sources de biais potentiel du taux brut.
MÉTHODES: Pour ce faire, nous sommes partis du nombre quotidien de cas confirmés et de décès au Canada et aux États-Unis pour la période du 31 janvier au 22 avril 2020. Nous y avons appliqué une méthode statistique qui réduit au minimum les biais du taux de létalité brut de 2 façons : en intégrant la durée de survie, soit le délai entre le début de la maladie et le décès, et en considérant que moins de 50 % des cas de COVID-19 sont confirmés (intervalle de confiance à 95 % 10 %–50 %).
RÉSULTATS: À partir du nombre de cas confirmés au Canada, nous avons évalué le taux brut en date en 22 avril 2020 à 4,9 %, et le taux ajusté à 5,5 % (intervalle de crédibilité [ICr] 4,9 %–6,4 %). En appliquant divers taux de cas confirmés inférieurs à 50 %, nous avons obtenu un taux ajusté de 1,6 % (ICr 0,7 %–3,1 %). Pour les États-Unis, le taux brut en date du 20 avril 2020 était de 5,4 %, et le taux ajusté, de 6,1 % (ICr 5,4 %–6,9 %). Combiné à des taux de cas confirmés inférieurs à 50 %, le taux ajusté est passé à 1,78 % (ICr 0,8 %–3,6 %).
INTERPRÉTATION: Nos estimations montrent que si le taux de cas confirmés est de moins de 50 %, le taux de létalité ajusté de la COVID-19 est vraisemblablement inférieur à 2 % au Canada. Aux États-Unis, les estimations sont plus élevées, mais le taux ajusté reste sous la barre des 2 %. Si le taux de cas confirmés était connu, nous pourrions mieux évaluer la virulence du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 et la charge associée.
Le risque de mortalité due à l’infection au coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) est un facteur critique dans la charge de morbidité de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). La quantification de ce risque peut nous éclairer de manière importante sur les répercussions de la pandémie sur le plan socioéconomique et sur celui de la santé, et aider à cerner les sous-populations les plus sujettes à développer des symptômes graves. Le risque de mortalité des suites d’une infection diagnostiquée, aussi appelé taux de létalité, correspond à la proportion des personnes ayant reçu le diagnostic d’une maladie qui meurent de celle-ci, pour une période donnée.
Les estimations du taux de létalité de la COVID-19 varient, selon les régions et le stade de l’épidémie, entre 0,4 % en Chine1 et 31,4 % dans le nord-ouest de l’Italie2. Les données individuelles ont généré un taux ajusté de 3,6 % (intervalle de confiance [IC] à 95 % 3,6 %–3,8 %) pour la province du Hubei, en Chine continentale3. Sur le bateau de croisière Diamond Princess, le taux de létalité pour l’ensemble des passagers a été estimé à 2,6 % (IC à 95 % 0,9 %–6,7 %), mais était beaucoup plus haut chez les 70 ans et plus (13,0 %; IC à 95 % 5,2 %–26,0 %)4.
Quand une épidémie n’est pas terminée, et surtout si la propagation est dans sa phase exponentielle, le délai entre l’apparition de la maladie et la connaissance de ce qu’il advient du patient peut venir fausser le taux de létalité estimé5. De plus, la sous-estimation du nombre de cas en fait gonfler l’estimation. Étant donné la capacité limitée à tester et à reconnaître les personnes présentant des symptômes bénins ou modérés, aux États-Unis comme au Canada, les taux d’infection dans les 2 pays sont probablement grandement sous-estimés6,7.
Le taux de létalité jouant un rôle important dans le travail de planification en santé publique, nous avons voulu l’estimer pour l’épidémie de COVID-19 qui sévit aux États-Unis et au Canada en tenant compte de la confirmation prédominante des cas graves (qui mène à une sous-estimation) et du délai entre l’apparition de la maladie et le décès.
Méthodes
En premier lieu, nous avons extrait le nombre de cas confirmés et de décès quotidiens associés à la COVID-19 (figures 1A et 2A) pour la période du 31 janvier au 22 avril 20208–10. Le taux de létalité brut dépend du nombre de cas confirmés à un moment précis et se calcule comme suit : (total des décès [t]/total des cas [t]) × 100. Cela dit, tant qu’une éclosion n’est pas terminée, le nombre de personnes décédées des suites de l’infection n’est pas définitif. Le dénominateur du taux de létalité inclue les patients qui mourront de l’infection, mais qui ne sont pas encore morts, par conséquent, la durée de survie engendre un biais dans le calcul.
Pour limiter le plus possible cet effet, nous avons utilisé une méthode statistique qui intègre, par une vaste distribution probabiliste de la durée de survie, l’incertitude du délai entre l’apparition de la maladie et le décès (voir l’annexe 1, accessible en anglais au https://www.cmaj.ca/lookup/suppl/doi:10.1503/cmaj.200711/-/DC1, pour connaître les détails techniques). Comme le nombre de personnes qui contractent la COVID-19 est possiblement sousestimé, en raison des cas bénins et asymptomatiques qui ne sont pas portés à l’attention du personnel médical ou qui ne sont pas confirmés en laboratoire, nous avons choisi d’estimer le taux de létalité en supposant un taux de cas confirmés inférieur à 50 % (IC à 95 % 10 %–50 %)11,12. Enfin, nous avons déterminé l’intervalle de crédibilité (ICr) de nos estimations à partir de la probabilité qu’elles se réalisent, afin d’exprimer l’incertitude des taux ajustés.
Approbation éthique
Cette recherche utilisant seulement des données publiques, nous n’avons pas eu à demander une approbation éthique.
Résultats
Notre estimation du taux de létalité brut de la COVID-19 au Canada était, en date du 22 avril 2020, de 4,9 %. En tenant compte de la durée de survie, nous avons obtenu un taux ajusté de 5,5 % (ICr 4,9 %–6,4 %) (figure 1B). Puis en intégrant différents taux de cas confirmés par l’application d’une distribution lognormale aux données simulées, nous sommes arrivés à 1,6 % (ICr 0,7 %–3,1 %) (figure 1B). Nos estimations pour les États-Unis étaient plus élevées : pour la période finissant le 20 avril, nous avons calculé un taux de létalité brut de 5,4 %, un taux ajusté selon la durée de survie de 6,1 % (ICr 5,4 %–6,9 %) (figure 2B), et un taux ajusté selon les taux supposés de cas confirmés de 1,8 % (ICr 0,8 %–3,6 %).
Interprétation
Nos estimations montrent que si le taux de cas de COVID-19 confirmés au Canada est de moins de 50 %, le taux de létalité ajusté est vraisemblablement inférieur à 2 %. Notre estimation du taux ajusté aux États-Unis est légèrement plus élevée, mais reste sous la barre des 2 %. À noter que le taux de létalité dans une région ou une ville peut différer des estimations nationales. Par exemple, avec la même méthodologie, nous avons calculé un taux brut de 7,2 % et un taux ajusté de 7,8 % (ICr 7,2 %–8,8 %) pour la ville de New York, en date du 20 avril 2020. En appliquant la distribution des taux de cas confirmés, nous sommes arrivés à 2,2 % (ICr 0,9 %–4,5 %) (données non publiées, 2020).
Les causes de la variabilité internationale dans les taux de létalité de la COVID-19 présentés dans notre étude et dans celle de Rajgor et ses collaborateurs13 méritent d’être examinées. Les estimations fluctuent beaucoup à l’intérieur d’une région, malgré la proximité et les similarités climatiques, par exemple dans les îles du Pacifique Ouest, où elles varient entre 0,39 % (à Singapour) et 7,14 % (aux Philippines)14. Une méta-analyse des études estimant le taux de létalité de la COVID-19 a conclu que 13,5 % (IC à 95 % 6,2 %–21,5 %) des personnes hospitalisées mourraient15. Dans une autre étude, des chercheurs ont estimé que 67 % des patients gravement malades perdaient la vie16,17. Précisons que le taux de létalité varie nécessairement selon le milieu, par exemple entre les services de soins intensifs, les hôpitaux généraux et les établissements de soins de longue durée18–20. Les facteurs soulevés ici et les autres variables liées à l’hôte, à l’environnement et à l’exposition qui influent sur le taux de létalité devraient faire l’objet de recherches.
Limites de l’étude
Le taux de létalité est influencé par la démographie et les comorbidités d’une population, par la capacité d’accueil et le niveau de préparation du système de santé, et par les différences dans les politiques de diagnostic, de traitement, de prévention et de contrôle des infections des différents pays. Les taux calculés dans notre étude valent pour l’ensemble de la population du Canada ou des États-Unis. Ils pourraient être plus élevés pour les groupes sujets à développer des symptômes graves, pour les populations en moyenne plus âgées, et dans les milieux qui n’étaient pas prêts ou ne disposaient pas des ressources nécessaires pour absorber une flambée des cas18–20. D’autres facteurs influencent le taux de létalité, tels que le taux de cas confirmés, qui de son côté peut varier selon la capacité de test et les caractéristiques de la maladie. Nos estimations sont par définition soumises à ces facteurs, et peuvent donc changer, avec le temps, selon la valeur qu’ils prennent et les données qui sortiront.
Conclusion
Lorsqu’une maladie commence à se propager et que les cas ne sont pas tous élucidés ou confirmés, l’amélioration des estimations du taux de létalité brut par l’élimination des sources de biais peut donner aux professionnels de la santé publique et aux responsables des politiques une première idée de la charge de morbidité associée dans la population. Étant donné la possibilité d’infection asymptomatique, le sous-diagnostic des cas bénins et la variation entre les provinces, les pays et les régions, il faut mener des études visant à déterminer les taux de cas de COVID-19 confirmés. Une fois ces taux connus, les estimations de la létalité pourront mieux refléter la virulence du SRAS-CoV-2, qui continue de se propager au Canada et aux États-Unis.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200711
Intérêts concurrents: Joanne Langley est titulaire de la chaire en vaccinologie pédiatrique des Instituts de recherche en santé du Canada et de GlaxoSmithKline, à l’Université Dalhousie. L’Université Dalhousie a reçu du financement de recherche de Sanofi Pasteur, Merck, Janssen, VBI et Pfizer. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Seyed Moghadas et Alison Galvani ont conçu et élaboré l’étude. Elaneh Abdollahi et David Champredon ont créé la simulation et appliqué les méthodes statistiques. Elaneh Abdollahi a analysé et interprété les données. Seyed Moghadas, Alison Galvani, David Champredon et Joanne Langley ont rédigé le manuscrit original et révisé de façon critique le contenu intellectuel important. Tous les auteurs ont approuvé la version définitive pour publication et ont accepté de se porter garants de tous les aspects du travail.
Financement: Seyed Moghadas reconnaît avoir reçu du soutien des Instituts de recherche en santé du Canada (OV4-170643; Possibilité de financement canadienne pour une intervention de recherche rapide contre la maladie à coronavirus 2019) et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Alison Galvani reconnaît avoir reçu du soutien des National Institutes of Health (UO1-GM087719, 1RO1AI151176-01), de la Fondation Burnett and Stender Families et de la Fondation Notsew Orm Sands.
Transmission des données: Les données, méthodes statistiques et programmes informatiques utilisés sont rassemblés à l’adresse https://github.com/Ellie-Abdollahi/CFR-CoViD19.
- Accepted May 13, 2020.