Les hôpitaux doivent élaborer des plans de soins complets pour les patients atteints de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) dans les unités médicales afin d’assurer un contrôle serré des infections ainsi que la sécurité du personnel.
La division des unités en zones de risque clairement identifiées, le recours à un système de jumelage pour faciliter la supervision au moment de revêtir et de retirer l’équipement de protection individuelle, et la normalisation des protocoles de soins pourraient réduire les risques d’éclosions nosocomiales de COVID-19 et d’infection des travailleurs de la santé.
Lorsqu’on détermine la structure des équipes de soins médicaux, il importe de prendre en considération la rapidité avec laquelle une équipe peut s’adapter aux besoins, sa capacité à intégrer des médecins réaffectés et à assurer la sécurité de ses membres, sa viabilité à long terme, et la possibilité de maintenir une certaine continuité des soins.
Des mesures doivent être mises en place afin d’accélérer la détection de la détérioration clinique et le transfert des patients atteints de la COVID-19 à l’unité des soins intensifs.
Les équipes de soins devraient connaître les effets néfastes potentiels de l’isolement chez les patients et adopter une approche axée sur le patient afin d’atténuer ces effets malgré les restrictions dues aux mesures de contrôle des infections.
Face à la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), les systèmes de santé ont jugé prioritaire de renforcer la capacité des unités de soins intensifs; or, dans la majorité des cas, la prise en charge du patient s’effectue hors de celles-ci1,2. Dans bien des régions, la première vague de cas faiblit3, mais avec l’assouplissement des mesures de santé publique, dont l’éloignement sanitaire, l’apparition de vagues subséquentes semble inévitable4. Il importe donc de créer des protocoles de soins aux patients atteints de la COVID-19 dont l’état n’est pas critique, idéalement traités dans des unités séparées conçues pour optimiser les soins tout en limitant la transmission du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2).
Les auteurs du présent article ont consulté les données probantes disponibles et se sont inspirés de leurs expériences dans les régions de Madrid et de Toronto afin de proposer une approche en matière de création d’unités COVID-19 et d’équipes de soins qui y sont spécifiquement affectées. L’article traite de l’aménagement des unités, de la structure des équipes de soins médicaux, des protocoles d’évaluation clinique et de tournée, des méthodes factuelles favorables à la transformation de la culture et des moyens d’atténuer les effets nocifs de l’isolement chez les patients.
Aménagement des unités COVID-19
En mars 2020, en Espagne, des médecins traitant des patients hospitalisés en raison de la COVID-19 ont reconnu le risque de transmission du SRAS-CoV-2 aux autres patients et aux travailleurs de la santé5. Afin d’atténuer ce risque, ils se sont inspirés des expériences de leurs collègues de Wuhan, en Chine, pour créer des unités affectées au traitement de la COVID-19, divisées selon le risque de contamination en zones délimitées par des marques au sol et des affiches, restructurer les équipes médicales et optimiser l’usage de l’équipement de protection individuelle (EPI)6. Par la suite, un groupe du Réseau universitaire de santé a adapté ces principes directeurs au contexte torontois.
Le traitement des patients infectés dans des unités séparées endigue la propagation du SRAS-CoV-2 aux autres patients. La formation de cohortes permet également d’adapter l’aménagement d’une unité afin de limiter les risques d’éclosions nosocomiales et d’infection des travailleurs de la santé. Des zones de risque concentriques sont établies autour des chambres des patients (zone rouge; risque élevé), dans les corridors (zone verte; risque modéré) et autour du poste du personnel infirmier (zone bleue; risque faible) (figure 1A–C). Comptent parmi les principes directeurs la réduction du va-et-vient entre les zones et la mise en place de rappels visuels sur l’usage d’EPI complet dans la zone rouge, ainsi que sur le retrait adéquat de l’EPI et le lavage des mains avant la sortie. Puisque beaucoup de travailleurs de la santé entrent en contact avec des matières potentiellement contaminées au poste du personnel infirmier (p. ex., dossiers, claviers et téléphones), l’isolement de ces postes au titre de zones décontaminées est crucial.
L’efficacité de la formation de cohortes de patients repose sur l’accès facile à des tests de dépistage fiables pour détecter le SRAS-CoV-2 et l’obtention rapide des résultats. À l’heure actuelle, les restrictions liées à la sensibilité de ces tests appellent au jugement clinique pour déterminer s’il est nécessaire de répéter le dépistage afin d’identifier les patients devant être traités dans une unité COVID-197.
Approche idéale pour la création d’une équipe médicale affectée aux cas de COVID-19
Lorsqu’on forme l’équipe médicale spécifiquement affectée aux cas de COVID-19, il importe de prendre en considération la rapidité avec laquelle l’équipe peut s’adapter aux besoins, sa capacité à intégrer des médecins réaffectés et à assurer la sécurité de ses membres, sa viabilité à long terme, et la possibilité de maintenir une certaine continuité des soins. En ce qui concerne l’affectation des professionnels de la santé, il est prudent de tenir compte, dans la mesure du possible, de leurs facteurs de risque d’atteinte grave en cas d’infection (âge, statut immunitaire, problèmes de santé préexistants)8,9.
Le modèle de l’équipe COVID-19 devrait être facile à reproduire, puisqu’il est impératif d’absorber l’augmentation rapide des admissions. Il se peut que les pics d’infection nécessitent la réaffectation de travailleurs non hospitalistes, comme ce fut le cas lors des éclosions locales de la grippe A (H1N1) et du SRAS, par exemple10,11. Par ailleurs, l’intégration de médecins réaffectés permet l’accès aux compétences professionnelles dans des spécialités pertinentes aux soins des patients infectés (p. ex., pneumologie, maladies infectieuses et soins palliatifs). La formation d’une équipe comptant un interniste général d’expérience ou un médecin exerçant en milieu hospitalier et un autre professionnel de la santé (p. ex., médecin résident finissant, médecin réaffecté aux compétences pertinentes ou infirmière praticienne) pourrait contribuer à l’adaptabilité et à la reproductibilité du modèle.
Un système de jumelage entre 2 professionnels — précédemment décrit dans une lettre en tribune libre au CMAJ12 sur la préparation à la pandémie de grippe A (H1N1) — permet quant à lui la séparation des tâches et offre des avantages connexes pour le contrôle des infections. Par exemple, le premier professionnel de la santé peut effectuer tous les examens physiques et pénétrer dans les zones rouges (en enfilant et en retirant l’EPI avec soin), tandis que le second demeure dans la zone verte, supervise la mise en place et le retrait de l’EPI et réalise d’autres tâches (p. ex., consignation, vérification des résultats et demandes de médicaments ou de tests), tout en étant disponible pour offrir de l’aide ou en demander. Avec ce système, les professionnels qui entrent dans les chambres risquent moins de contaminer l’environnement de travail. Cette structure est également propice aux discussions cliniques et à la prise de décision concertée. Selon l’expérience des auteurs, l’alternance des rôles tous les 3 ou 4 jours permet de réduire la fatigue et d’équilibrer l’exposition au risque.
D’autres exemples de facteurs à considérer sont la bonne gestion des horaires afin de permettre aux professionnels de se reposer suffisamment après avoir travaillé dans une unité COVID-19 — ce qui peut être stressant — et l’utilisation des lignes directrices de santé et de sécurité au travail pour le dépistage du SRAS-CoV-2 chez le personnel.
Déroulement des tournées
Procédures normalisées et listes de vérification
L’officialisation des procédures de tournée dans les unités COVID-19 et leur transmission au personnel soignant permettent l’uniformisation du processus et facilitent l’intégration des médecins réaffectés et des autres membres s’ajoutant à l’équipe de soins.
La priorité doit être donnée à l’optimisation des soins aux patients, à la sécurité des professionnels de la santé et au contrôle méticuleux des infections. Dans le cadre proposé ici, les tournées sont réalisées par 2 professionnels de la santé, assistés à l’occasion par l’infirmière responsable de l’unité ou d’autres membres de l’équipe interprofessionnelle. Inspirées des temps d’arrêt préopératoires et du compte rendu postopératoire, les tournées commencent et se terminent avec le passage en revue d’une liste de vérification de la sécurité dans la zone verte (figure 2)13. Le déroulement des tournées est conçu pour maximiser l’efficacité de la prestation des soins tout en éliminant les allées et venues au poste du personnel infirmier (protection de la zone bleue), réduire le recours inutile à l’EPI et maintenir l’étanchéité des zones. L’utilisation d’une station de travail mobile et de modèles de notes d’évolution quotidienne rend possibles la saisie et l’impression de notes à distance pour ainsi réduire au maximum les contacts entre les professionnels de santé dans les zones rouges et les dossiers papier.
Équipement de protection individuelle
Compte tenu des difficultés d’approvisionnement en EPI14, les équipes doivent connaître les recommandations en matière d’équipement émises par les autorités locales de prévention et de contrôle des infections. Les étapes pour revêtir et retirer l’EPI de façon sécuritaire doivent être suivies à la lettre afin de réduire le risque d’infection du personnel. Comme ce fut le cas dans d’autres milieux, les équipes des auteurs ont constaté qu’il était préférable de réaliser ces procédures sous l’œil vigilant d’un collègue15 membre de l’équipe de soins, qui observe le processus du début à la fin à partir de la zone verte. L’observateur doit pouvoir intervenir au besoin. La personne qui revêt ou retire l’EPI prend le temps de se concentrer entièrement sur ces tâches déterminantes.
Examens physiques
Chez la plupart des patients traités dans les unités COVID-19, la détermination des besoins en ventilation d’urgence constitue un élément phare des évaluations quotidiennes. C’est pourquoi les évaluations cliniques doivent cibler les signes de détresse respiratoire et les signes avant-coureurs du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Une observation clinique attentive facilite la détection des signes de détresse respiratoires sans auscultation. Par exemple, en présence de halètements, le rapport de vraisemblance positif (RV(+)) est de 7,8 pour la détresse respiratoire sévère16. En présence de 3 signes de problèmes respiratoires graves (p. ex., rétraction suprasternale, battement des ailes du nez ou signe de Hoover), le RV(+) passe à 18,9. Chacun de ces signes peut être confirmé sans auscultation de la poitrine.
La détection des manifestations précoces du SDRA constitue une autre priorité pour laquelle l’auscultation est d’une utilité limitée. Dans une étude de 2004 où des chercheurs comparaient l’efficacité du diagnostic par auscultation, par radiographie thoracique et par échographie pulmonaire avec tomodensitométrie (TMD) thoracique, l’auscultation avait une faible sensibilité (34 %) et une faible précision diagnostique (55 %, par rapport à la TMD thoracique) pour le syndrome interstitiel alvéolaire17.
La valeur ajoutée de l’auscultation comparativement à l’observation clinique attentive doit être interprétée en tenant compte du risque accru d’infection nosocomiale lié au stéthoscope18. La présence de SRAS-CoV-2 viable a été détectée jusqu’à 72 heures après l’exposition sur des surfaces en plastique et en acier inoxydable14. Par conséquent, l’usage courant du stéthoscope chez les patients atteints de la COVID-19 devrait être restreint, et, dans les situations cliniques où l’auscultation est jugée utile (p. ex., évaluation d’une respiration sifflante en cas de bronchoconstriction soupçonnée), il faut porter une attention particulière aux mesures de contrôle des infections. Les avantages potentiels des autres examens cliniques doivent être évalués de façon similaire : par exemple, les auteurs ont constaté que l’examen physique visant à détecter une thrombose veineuse profonde chez un patient présentant des taux élevés de d-dimères contribuait à la prise de décision clinique.
Tomodensitométrie et échographie portable
Malgré l’utilité de la TDM comme test auxiliaire pour le dépistage de la COVID-19, le transfert des patients positifs au SRAS-CoV-2 dans la salle de TDM expose le personnel à l’infection7. On s’est alors intéressé à l’échographie thoracique portable, qui aide parfois à cerner les causes de l’insuffisance respiratoire aigüe17. Or, les signes présents chez les patients atteints de la COVID-19 (épaississement pleural et lignes B diffuses) ne sont pas spécifiques19. De plus, l’équipement doit être minutieusement décontaminé entre les patients, ce qui peut affecter le déroulement du travail lors des tournées. L’expertise requise pour utiliser l’équipement constitue un autre obstacle au recours à l’échographie portable20.
Systèmes d’alerte précoce de détérioration clinique
L’état respiratoire des patients hospitalisés atteints de la COVID-19 se détériore parfois rapidement, alors que des besoins minimes en oxygène se transforment en insuffisance respiratoire en quelques heures seulement21. Le dépistage précoce de la détérioration clinique permettrait l’intubation dans un milieu contrôlé plutôt qu’en salle d’urgence, une option préférable puisque l’intubation d’urgence peut accroître le risque d’infection des travailleurs de la santé22. Par ailleurs, dans certains cas, le dépistage précoce de l’hypoxie permet le recours à des traitements tels que l’oxygénothérapie à haut débit ou le positionnement en décubitus ventral. Cependant, le monitorage des signes vitaux dans les unités médicales ne s’effectue habituellement qu’aux 4 heures. En effet, l’augmentation de la fréquence du monitorage en personne accroît le risque d’exposition au virus.
Afin de surmonter ces obstacles, les auteurs ont conçu un système de monitorage à distance par oxymétrie pulsée, utilisable chez les patients présentant un risque accru de détérioration clinique ou recevant de l’oxygène d’appoint9. Les patients en mesure de suivre des directives reçoivent un oxymètre de pouls et des instructions sur son utilisation. On leur demande de prendre leurs signes vitaux aux heures ou aux 2 heures et de transmettre les résultats au personnel infirmier, ce qui élimine le besoin d’entrer dans la chambre. Dans les cas où l’auto-évaluation était impossible, les équipes ont utilisé des moniteurs de surveillance continue dotés d’alertes sonores qui combinent le monitorage de l’oxymétrie et de la fréquence respiratoire (Root/Radius-7, Masimo Canada). Ce type de systèmes d’alerte permet l’intervention précoce de l’équipe des soins intensifs selon les besoins et le transfert rapide à l’unité des soins intensifs afin d’optimiser les résultats.
Adoption d’une culture axée sur la sécurité
En médecine clinique, l’instauration de changements à grande échelle demande des modifications complémentaires à la culture de travail. L’efficacité des mesures de contrôle des infections repose sur l’engagement de chacun des intervenants participant aux soins des patients, y compris les médecins résidents, le personnel infirmier, les porteurs d’hôpital, le personnel d’entretien et bien d’autres. Le changement de culture ne s’effectue pas sans difficulté, en particulier lorsqu’il faut adapter rapidement les pratiques24. La collaboration et la bonne communication entre les intervenants sont essentielles en raison des révisions fréquentes des protocoles de soins qui accompagnent les bouleversements de la pandémie.
Atténuation des effets nocifs de l’isolement chez les patients
Bien que les expériences à long terme des patients atteints de la COVID-19 n’aient pas encore été décrites, les survivants du SDRA ont déclaré une réduction de leur qualité de vie en lien avec la santé jusqu’à 5 ans après avoir quitté l’hôpital25, et les survivants du SRAS décrivent des séquelles importantes liées à l’isolement à l’hôpital, à la quarantaine à la maison et à la stigmatisation26. Les patients atteints de la COVID-19 sont placés en isolement, et de nombreux hôpitaux ont interdit les visites. Afin d’améliorer l’offre de soins axés sur le patient dans les unités COVID-19, les équipes envisageront notamment de prévoir du temps pour rassurer les patients, répondre à leurs questions et donner des nouvelles aux familles; d’utiliser téléphones et tablettes afin de faciliter les échanges avec les proches; de remettre aux patients des photos des membres de l’équipe de soins sans leur EPI; et de recourir à un service d’interprétation médicale au besoin (figure 3).
Conclusion
La pandémie de COVID-19 a pris d’assaut villes et régions dans différentes mesures et à différents moments. Des professionnels de la santé issus de localités durement touchées ont généreusement transmis les leçons qu’ils ont tirées de leur expérience pour en faire profiter leurs collègues ailleurs dans le monde. La présente démarche a été inspirée en grande partie par une publication virale d’un des auteurs (M. G., résident en médecine interne au centre hospitalier universitaire Fundación Alcorcón à Madrid) dans les médias sociaux4. Les auteurs ont rapidement relayé leurs protocoles à d’autres unités du Réseau universitaire de santé à Toronto et ont présenté leur approche dans un site Web en libre accès (www.torontocovidcollective.com). Il demeurera important de pouvoir diffuser l’information, créer des protocoles et collaborer avec des médecins d’ici et d’ailleurs au fil des vagues de la pandémie.
Les soins aux patients hospitalisés en raison de la COVID-19 ne sauraient être considérés comme faisant partie des procédures opérationnelles régulières des hôpitaux. Une planification méticuleuse est requise. La communauté médicale se heurte à des difficultés propres à l’intensification des procédures de contrôle des infections, à la prestation de soins à un nombre potentiellement important de patients et aux considérations cliniques propres à la COVID-19. En s’appuyant sur la documentation existante et l’intégration rapide des leçons apprises partout dans le monde — souvent publiées dans les médias sociaux —, les hôpitaux et les équipes de soins peuvent se préparer à la prestation sûre et efficace de soins axés sur le patient en vue de surmonter le défi sans pareil qu’est la COVID-19.
Remerciements
Les auteurs souhaitent souligner le leadership de Janet Pilgrim et de Kevin White (infirmière et infirmier gestionnaires au Réseau universitaire de santé) en lien avec la mise en œuvre dans leur hôpital des principes décrits ici.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200855
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont substantiellement contribué à l’élaboration et à la rédaction du manuscrit ainsi qu’à la révision critique du contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.