Abstract
CONTEXTE: On ne connaît pas encore avec certitude l’innocuité et l’efficacité du plasma de convalescent comme traitement de la forme grave de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-2019). Afin d’appuyer la conception de lignes directrices sur la prise en charge de la COVID-19, nous avons effectué une revue systématique et une méta-analyse sur l’utilisation du plasma de convalescent pour le traitement de cette maladie et d’autres formes graves d’infections respiratoires virales.
MÉTHODES: En mars 2020, nous avons effectué des recherches dans des bases de données biomédicales internationales et chinoises, des registres d’essais cliniques et des sources prépubliées afin de recenser des essais randomisés et contrôlés (ERC) et des études non randomisées comparant les issues de patients ayant reçu du plasma de convalescent à celles de patients n’en ayant pas reçu. Ont été inclus les patients ayant une infection aiguë attribuable à un coronavirus, au virus de l’influenza ou au virus Ebola. Nous avons également réalisé une méta-analyse à l’aide d’un modèle à effets aléatoires et évalué la qualité des données probantes au moyen de l’approche GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development, and Evaluation).
RÉSULTATS: Sur les 1099 études uniques initialement repérées, 6 étaient admissibles, et aucune d’entre elles ne portait sur des patients atteints de la COVID-19. Une étude non randomisée (n = 40) sur l’administration de plasma de convalescent à des patients atteints du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV) a fourni des données peu concluantes sur le taux de mortalité (risque relatif [RR] 0,10; intervalle de confiance [IC] de 95 % 0,01 à 1,70). Des estimations regroupées provenant de 4 ERC sur l’influenza (n = 572) n’ont pas montré d’effet manifeste sur le taux de mortalité (4 ERC; RR 0,94; IC de 95 % 0,49 à 1,81), le rétablissement complet (2 ERC; rapports de cotes [RC] 1,04; IC de 95 % 0,69 à 1,64) et la durée d’hospitalisation (3 ERC; différence moyenne [DM] −1,62; IC de 95 % −3,82 à 0,58 jours). La qualité des données était très faible pour tous les paramètres relatifs à l’efficacité. Dans les ERC sur l’influenza, aucun ou peu d’événements indésirables graves ont été associés au plasma de convalescent (RR 0,85; IC de 95 % 0,56 à 1,29; données de faible qualité).
INTERPRÉTATION: Les études portant sur des formes graves d’infections respiratoires virales autres que la COVID-19 ont fourni des données indirectes de très faible qualité semblant indiquer que le plasma de convalescent n’offre aucun bénéfice ou offre des bénéfices minimes pour le traitement de la COVID-19, de même que des données de faible qualité montrant qu’il n’entraîne pas d’événements indésirables graves.
Près de 3 millions de personnes sur la planète ont reçu un diagnostic de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), et environ 0,2 million d’entre elles en sont décédées1. De nombreux patients atteints de la COVID-19 développent des troubles respiratoires aigus sévères nécessitant une hospitalisation aux soins intensifs et, souvent, une ventilation mécanique2. Le taux de létalité de la COVID-19 pourrait être de 2,3 % chez l’ensemble des personnes ayant contracté le virus, et de 10 % à 40 % chez les personnes gravement malades3,4. Il faut de toute urgence trouver des traitements efficaces.
Des données épidémiologiques et cliniques émergentes montrent à la fois des ressemblances et des dissemblances entre la forme grave de COVID-19, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRMO)5. Il est également possible que des traitements contre les formes graves d’infections par le virus de l’influenza testés durant la pandémie de grippe H1N1 et les éclosions de grippes H5N1 et H7N9 puissent guider les soins prodigués aux patients atteints d’une forme grave de COVID-196.
Parmi les divers traitements proposés pour lutter contre la COVID-197, on compte l’administration de plasma de convalescent, qui est appuyée par des données montrant une diminution du taux de mortalité dans des cas d’infection par le virus Ebola8. Cette intervention a également été testée dans le cadre d’études sur d’autres infections respiratoires virales aiguës sévères6,9,10. Le plasma de convalescent est du plasma prélevé chez des personnes s’étant récemment remises d’une infection virale, dans lequel on s’attend à trouver un taux élevé d’anticorps polyclonaux dirigés contre le virus en cause11. Le plasma hyperimmun est quant à lui du plasma prélevé chez des personnes ayant des titres élevés d’anticorps neutralisants, sans égard au temps écoulé depuis l’infection virale. Des auteurs ont utilisé les 2 termes de façon interchangeable; comme la neutralisation virale n’est qu’un des mécanismes proposés pour expliquer l’effet antiviral des anticorps, on ne sait pas à quel point il est important de faire la distinction entre ces 2 types de produits (figure 1).
De façon générale, des cliniciens ont administré du plasma de convalescent à des patients aux prises avec une infection virale et dont l’état se dégradait malgré la prestation de soins de soutien6. Bien que l’on considère que la réduction de la virémie (immunité passive) soit le principal mécanisme d’action du plasma de convalescent12, on croit également qu’il stimule la réponse immunitaire (immunité active) chez le receveur13. La figure 1 présente les mécanismes par lesquels le plasma de convalescent pourrait contrer le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2).
La synthèse systématique des données probantes disponibles sur l’efficacité et l’innocuité du plasma de convalescent pourrait orienter l’utilisation de ce produit chez les patients atteints de la COVID-19. Nous avons effectué une revue systématique des données sur le sujet pour appuyer des lignes directrices sur la prise en charge de la COVID-1914. Comme nous nous attendions à ce que les données directes sur l’administration de plasma de convalescent en cas de COVID-19 soient rares, nous avons préparé une synthèse des données sur son administration dans le traitement du SRAS, du SRMO et de l’influenza, notamment les virus H1N1, H7N9 et H5N1, et nous nous sommes intéressés aux événements indésirables qui sont survenus chez les patients infectés par le virus Ebola.
Méthodes
Cette revue systématique et méta-analyse suit les lignes directrices PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses)15 pour la production de rapports. Un document connexe présente le protocole de revue systématique suivi (annexe 1, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/suppl/doi:10.1503/cmaj.200642/-/DC1).
Sélection des études
Nous avons retenu les études portant sur des patients infectés par le SRAS-CoV-2, le SRAS-CoV, le MERS-CoV ou un virus de l’influenza qui présentaient un trouble respiratoire grave. Pour l’évaluation de l’innocuité, nous avons également tenu compte de données recueillies chez des patients infectés par le virus Ebola. Nous nous sommes servis de la définition de l’Organisation mondiale de la Santé en ce qui a trait à la COVID-19 et à l’atteinte respiratoire grave, soit une fièvre ou une infection respiratoire soupçonnée accompagnée d’au moins 1 des symptômes suivants : fréquence respiratoire supérieure à 30 respirations par minute, détresse respiratoire importante, ou saturation périphérique en oxygène (SpO2) de 93 % ou moins à l’air ambiant16. Les études admissibles devaient comparer l’administration intraveineuse de plasma de convalescent ou d’immunoglobulines hyperimmunes à une prise en charge classique sans administration de plasma de convalescent.
Les paramètres à l’étude comprenaient la mortalité au suivi le plus éloigné, le stade de rétablissement, la durée du séjour aux soins intensifs, la durée d’hospitalisation, le nombre de jours sous ventilation mécanique et la charge virale. Nous avons également recueilli des données sur la survenue d’événements indésirables graves, comme les complications liées à une surcharge volémique intravasculaire, les lésions pulmonaires aiguës post-transfusionnelles, les réactions allergiques ou anaphylactiques et autres.
Pour chaque population de patients, nous n’avons retenu que des ERC lorsque c’était possible et avons tenu compte des bénéfices et des préjudices de façon satisfaisante. Si aucun ERC n’était disponible ou si des études contrôlées non randomisées fournissaient des renseignements complémentaires importants, nous avons retenu les études non randomisées comportant des analyses où les données étaient ajustées. En l’absence de ce type d’études, nous avons retenu les études non randomisées accessibles. Les études sans groupe témoin ont été exclues.
Sources des données et recherches
Aidés d’une bibliothécaire spécialisée en médecine (R.C.), nous avons interrogé des bases de données en santé (MEDLINE, Embase, PubMed — pour les études non indexées — et le Cochrane Central Register of Controlled Trials [CENTRAL]) le 6 mars, puis de nouveau le 19 avril. Nous avons également interrogé medRxiv — pour les sources prépubliées non évaluées par les pairs — le 11 mars et le 26 avril, des bases de données chinoises (China National Knowledge Infrastructure [CNKI], Wanfang, Chongqing VIP Information [CQVIP] et SinoMed) le 23 mars et le 21 avril, et ChinaXiv le 26 avril 2020. Nous nous sommes servis de mots-clés anglais en lien avec les virus (« coronavirus », « influenza », « Ebola », « MERS », « SARS ») et en lien avec les interventions (« convalescent plasma », « hyperimmune plasma »). Aucune restriction de langue n’a été imposée. L’annexe 1 présente la stratégie de recherche complète et résume les résultats obtenus.
Deux personnes ont évalué de façon indépendante les titres et les résumés des articles recensés, puis le texte intégral des articles potentiellement admissibles. Elles ont également examiné les références des articles admissibles à la recherche d’autres études pertinentes.
Extraction des données et évaluation de la qualité
Deux personnes ont extrait, de façon indépendante, les données relatives à l’étude, aux caractéristiques des participants, à la technique de prélèvement du plasma, à la méthode de quantification des anticorps du plasma de convalescent ou hyperimmun, aux paramètres de l’étude et au risque de biais, puis elles les ont compilés dans des chiffriers Excel. Tout désaccord a été réglé par la discussion.
Une version modifiée de l’outil Cochrane d’évaluation des risques de biais a été utilisée pour évaluer les ERC17. Elle mettait en évidence 6 possibles sources de biais : la génération des séquences d’attribution, la dissimulation de l’attribution des traitements, l’insu, la perte au suivi, la déclaration sélective des résultats et d’autres problèmes. Pour l’évaluation des études de cohortes contrôlées, nous avons utilisé une version modifiée de l’outil Newcastle–Ottawa18, qui nous a permis de relever les sources possibles de biais en lien avec la sélection des participants, la relation temporelle entre l’exposition et les résultats, la mesure des résultats, l’exposition et les facteurs pronostiques, l’équilibre des facteurs pronostiques, l’équilibre des traitements concomitants entre les groupes et l’exhaustivité du suivi. Dans les 2 outils, les réponses possibles pour chaque élément étaient « absolument » et « probablement » (faible risque de biais), ainsi que « probablement pas » et « certainement pas » (risque élevé de biais). Nous avons déterminé que le risque global de biais de chaque paramètre d’une étude donnée était faible si tous les éléments pertinents comportaient un faible risque de biais, et élevé dans tous les autres cas. Pour en savoir plus à ce sujet, consulter le https://www.evidencepartners.com/resources/methodological-resources/
Qualité des données probantes
Nous avons évalué la qualité des données probantes au moyen de l’approche GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development, and Evaluation)19, en tenant compte du risque de biais, du caractère indirect, non uniforme ou imprécis des études, le cas échéant, et du risque de biais de publication. Le niveau de qualité des données est présenté dans les tableaux résumant les résultats20,21.
Analyse des données
Le modèle à effets aléatoires de DerSimonian et Laird a été utilisé pour calculer le risque relatif (RR) des paramètres binaires et le rapport de cotes (RC) proportionnel des paramètres ordinaux. Les intervalles de confiance (IC) ont été fixés à 95 %. Pour les paramètres continus, nous avons calculé les différences moyennes (DM) pondérées à l’aide du modèle à effets aléatoires de DerSimonian et Laird. Aux fins de compilation des résultats, nous avons estimé les moyennes et les écarts-types des études qui déclaraient plutôt des médianes et des écarts interquartiles. Pour ce faire, nous avons utilisé la formule suivante22 : (75e percentile – 25e percentile) / 1,35. Nous avons aussi regroupé les effets estimés pour chaque groupe de population par type de virus. Comme nous nous attendions à un petit nombre d’études, nous n’avons pas fait de diagramme en entonnoir ni de tests statistiques pour évaluer le risque de biais de publication, et n’avons pas formulé d’hypothèses quant aux effets par sous-groupes. Pour calculer la différence des risques (DR) avec un IC de 95 %, nous avons appliqué les RR et les RC regroupés aux estimations du risque de référence tirées des études sur la COVID-193; lorsque cela n’était pas possible, nous les avons appliqués au risque de référence médian des groupes témoins des études admissibles. Toutes les analyses ont été faites à l’aide du logiciel Stata 15.
Approbation éthique
Une approbation éthique n’était pas requise pour cette revue systématique.
Résultats
La recherche documentaire a permis de récupérer 1099 articles après l’élimination des doublons. Le diagramme de l’approche PRISMA (figure 2) présente les raisons pour lesquelles des études ont été exclues après la lecture de l’article intégral. Aucune étude admissible sur la COVID-19 n’a été recensée. Six études23–28 étaient admissibles (tableau 1), dont 4 ERC portant sur des patients ayant contracté le virus de l’influenza24–27. Une étude non randomisée sur le SRAS-CoV23 a fourni des données sur l’efficacité du plasma de convalescent, tandis que des ERC sur l’influenza24–27 et des études non randomisées sur l’Ebola28 et le SRAS-CoV23 ont fourni des données sur son innocuité.
Parmi les 4 ERC retenus, 3 ont été menés à l’insu des patients et des médecins24,26,27 — 2 administrant au groupe témoin une solution intraveineuse contenant un faible titre d’immunoglobulines24,26, et 1 administrant une solution physiologique salée27 —, et 1 était ouvert25. Le tableau 2 présente le risque de biais associé au taux de mortalité et à la durée d’hospitalisation. Tous les ERC sauf 125 avaient un faible risque de biais (tableau 2).
La méthode utilisée pour prélever le sérum hyperimmun variait d’un ERC à l’autre. Seuls Hung et ses collaborateurs24 ont recueilli du plasma de donneurs récemment rétablis (dans les 2 semaines précédentes) et ont quantifié l’activité des anticorps en mesurant les titres d’anticorps neutralisants. Les 3 autres essais25–27 ont obtenu du plasma de banques de sang et se sont servis du plasma de donneurs présentant des titres élevés d’anticorps au test d’inhibition de l’hémagglutination (IHA) plutôt que de donneurs s’étant récemment rétablis. Les 3 ERC ont fait état de titres très élevés (tableau 1).
Mortalité
En ce qui concerne le SRAS-CoV, une petite étude contrôlée non randomisée a montré que l’existence d’un effet du plasma de convalescent sur la mortalité était incertaine, selon les estimations non ajustées (RR : 0,10; IC de 95 % : 0,01 à 1,70; données de très faible qualité)23 [figure 3 et tableau 3].
Quatre ERC portant sur des patients atteints d’une forme grave de l’influenza (n = 572) ont donné des résultats non concluants quant à l’effet du plasma de convalescent sur la mortalité entre les jours 7 et 28 (RR 0,94; IC de 95 % 0,49 à 1,80; données de très faible qualité) [figure 3 et tableau 3]. Deux ERC sur des patients ayant contracté l’influenza ont fourni des données sur 6 paramètres possibles en lien avec le stade de rétablissement au jour 28 (décès, hospitalisation aux soins intensifs, hospitalisation avec oxygénothérapie, hospitalisation sans oxygénothérapie, congé et rétablissement incomplet, congé et rétablissement complet)25–27. Le RC regroupé pour le rétablissement (438 patients de deux ERC26,27) était de 1,05 (IC de 95 % 0,67 à 1,64), ce qui témoigne de données de très faible qualité (figure 4 et tableau 3).
Durée d’hospitalisation et de séjour aux soins intensifs
Trois ERC24–26 portant sur des cas graves d’influenza ont indiqué qu’il est possible, mais incertain, que le plasma de convalescent réduise la durée d’hospitalisation (DM pondérée −1,62 jour; IC de 95 % −3,82 à 0,58 jours), le séjour aux soins intensifs (DM pondérée −0,32 jour; IC de 95 % −3,20 à 2,56 jours) et la durée de la ventilation mécanique (DM pondérée −3,67 jours; IC de 95 % −7,70 à 0,36 jours). Tous ont fourni des données de très faible qualité (figure 5 et tableau 3).
Réduction de la charge virale
Les estimations regroupées de 2 ERC25,27 menés auprès de patients atteints d’une forme grave de l’influenza (n = 334) n’ont pas permis de conclure que le plasma de convalescent changeait la proportion de patients chez qui le virus n’est plus détectable dans des prélèvements nasopharyngés au jour 3 (RR 1,07; IC de 95 % 0,58 à 1,8; données de très faible qualité) et ont indiqué qu’il est possible, mais incertain, qu’il augmente le nombre de patients chez qui le virus n’est plus détectable au jour 725 (RR 1,32; IC de 95 % 0,97 à 1,81; données de très faible qualité).
Préjudices
Les estimations regroupées des 4 ERC24–27 sur des cas graves d’influenza (n = 576) ont indiqué que le plasma de convalescent n’avait causé que peu d’événements indésirables graves, voire aucun (RR 0,85; IC de 95 % 0,56 à 1,29; données de faible qualité) [figure 6 et tableau 3]. Deux ERC25,26 ont signalé des réactions transfusionnelles indésirables graves chez 8 (6 %) des 140 patients du groupe d’intervention, comparativement à 6 (6 %) des 96 patients du groupe témoin. Les études non randomisées portant sur des patients infectés par le SRAS-CoV23 ou le virus Ebola28 et 1 ERC sur des patients ayant l’influenza24 n’ont rapporté aucun événement indésirable grave lié à une surcharge volémique intravasculaire, à une lésion pulmonaire aiguë post-transfusionnelle ou à une réaction allergique grave provoquée par la transfusion de plasma.
Interprétation
Les études recensées n’ont fourni que des données de très faible qualité sur les bénéfices associés au plasma de convalescent chez les personnes atteintes de la COVID-19. Toutefois, si l’on se fie aux données de faible qualité, rien ne laisse croire que le plasma de convalescent provoquerait des événements indésirables graves chez ces personnes.
Le 25 mars 2020, la Food and Drug Administration des États-Unis a approuvé l’utilisation d’urgence du plasma de convalescent comme traitement expérimental en cas de COVID-19, mais pas son utilisation clinique systématique29. Son inclusion au programme d’accès élargi ne devrait pas être interprétée comme un gage d’efficacité, le programme ayant comme critère le manque d’autres options thérapeutiques approuvées ou d’accès à des essais cliniques plutôt que l’efficacité avérée. Les données limitées sur les bénéfices — ou dans le cas qui nous intéresse, sur l’absence ou presque de bénéfices — d’une intervention n’ayant pas fait ses preuves sont-elles suffisantes pour en justifier l’utilisation par compassion? Cette question est matière à débat30.
Parmi les forces de cette revue systématique, notons la tenue de recherches exhaustives dans diverses bases de données pour y trouver des études passées et émergentes, ainsi que l’adoption de l’approche GRADE pour évaluer la qualité des données tout en portant attention au lien indirect entre les populations étudiées et les patients atteints de la COVID-19. Les décisions quant à l’admissibilité des études, à l’évaluation du risque de biais et à l’extraction des données ont toutes été prises en tandem. Nous avons également limité le risque de biais en excluant les études portant sur un seul groupe.
Une revue systématique publiée en 2006 a résumé les données de 8 études d’observation contrôlées sur le plasma de convalescent (n = 1703 patients) menées durant la pandémie de grippe espagnole en 191810. La DR absolue entre le taux de mortalité des patients ayant reçu du plasma de convalescent et celui des patients des groupes témoins allait de 8 % à 26 % (DR regroupée 21 %; IC de 95 % 15 % à 27 %)10. Cependant, ces études d’observation, dans lesquelles les facteurs pronostiques étaient manifestement déséquilibrés, fournissaient uniquement des données de très faible qualité, même pour l’influenza; par conséquent, la qualité de ces données est encore plus faible lorsqu’on les applique à la COVID-19.
De même, une revue systématique de 20156 a signalé une réduction très importante du taux de mortalité (RC 0,25; IC de 95 % 0,14 à 0,45; I2 = 0 %) dans le cadre d’une méta-analyse posthoc d’études d’observation (n = 8) sur l’administration de plasma de convalescent en cas de SRAS grave (une étude rétrospective de cohortes23 et une série d’études de cas31) ou d’influenza A. Ici aussi, les données sont de très faible qualité, même pour le SRAS, et donc de qualité encore plus faible pour la COVID-19.
Une revue systématique récente32 non évaluée par des pairs parue sur un serveur de prépublication33 a regroupé les données de 5 ERC sur l’influenza, dont 424–27 retenus pour la présente revue32. Les estimations regroupées du taux de mortalité étaient très semblables à celles présentées dans notre revue, avec un RC de 1,06 (IC de 95 % 0,51 à 2,23). Il faut cependant préciser que les auteurs ont inclus dans leur revue l’essai INSIGHT FLU00534, un essai pilote de l’International Network for Strategic Initiatives in Global HIV Trials, comptant ainsi en double les patients qui ont participé à l’essai principal27. De plus, ils n’ont pas regroupé les données relatives au paramètre ordinal (stade de rétablissement), et n’ont pas utilisé l’approche GRADE pour évaluer la qualité des données probantes, qui est importante dans le cadre de notre revue parce qu’elle nous permet d’évaluer le caractère indirect de ces données.
Trois études portaient sur l’utilisation du plasma de convalescent en cas de forme grave de COVID-19. Une série d’études de cas35 s’est penchée sur 5 patients gravement malades; 3 d’entre eux avaient obtenu leur congé et 2 avaient vu leur état s’améliorer après avoir reçu du plasma de convalescent. Une autre étude non contrôlée de phase 1 a fait état d’une amélioration clinique accompagnée de la guérison des lésions pulmonaires chez 10 patients atteints de la forme grave de la COVID-19 ayant reçu du plasma de convalescent36. Enfin, une série d’études de cas de 4 patients, dont 1 femme enceinte, a également signalé l’amélioration clinique de tous les sujets après la transfusion37. Ces séries d’études de cas non contrôlées ne permettent toutefois pas de remettre en question la conclusion de la présente étude, à savoir que les bénéfices associés au plasma de convalescent chez les patients atteints de la COVID-19 demeurent très incertains. Récemment, un traitement expérimental à base d’anticorps monoclonaux s’est montré prometteur pour réduire le taux de mortalité chez les personnes ayant contracté l’Ebola38. La généralisation des résultats de l’immunisation passive au moyen d’anticorps monoclonaux préparés selon des techniques hautement normalisées et soigneusement sélectionnés pour leur effet contre le virus de la COVID-19 est, au mieux, très discutable.
Limites de l’étude
L’une des principales limites de la présente revue découle du caractère indirect de cette dernière, les données provenant, pour la plupart, d’essais sur l’influenza. Bien qu’il s’agisse des meilleures données disponibles en ce moment d’urgence, les différences entre les caractéristiques biologiques, cliniques et épidémiologiques de l’influenza et de la COVID-19 limitent grandement notre capacité à tirer des conclusions sur les effets du plasma de convalescent contre le nouveau coronavirus. La réponse immunitaire en 2 phases uniquement observée chez les patients atteints de la forme grave d’un coronavirus a une incidence directe sur les effets potentiels des stratégies de renforcement du système immunitaire39. Par ailleurs, le petit nombre d’études et d’événements relevés a donné lieu à de très grands intervalles de confiance, réduisant ainsi davantage la qualité des données. Enfin, comme les études d’observation pourraient fournir des preuves supplémentaires de préjudices, la restriction aux essais randomisés sur l’influenza constitue une limite.
Autre limite : le type de plasma utilisé explique possiblement le manque d’efficacité observé dans les essais sur l’influenza. Un seul essai24 portait sur l’utilisation de plasma de personnes s’étant rétablies de l’influenza dans les 2 semaines précédentes. Les chercheurs des autres essais25–27 ont dit avoir utilisé du plasma hyperimmun et ont signalé des titres très élevés au test d’IHA25–27. Toutefois, le recours à ce test pour quantifier l’activité des anticorps des donneurs de plasma s’avère controversé40. Les personnes qui sont d’avis que l’utilité du test d’IHA est limitée pourraient avancer que 3 des essais ont donné des résultats négatifs parce que du véritable plasma de convalescent n’a pas été utilisé40. Ce raisonnement supposerait donc que les essais sur l’efficacité du plasma de convalescent en cas de COVID-19 devraient comprendre le prélèvement de plasma chez des personnes récemment rétablies et devraient fournir le nombre de jours écoulés depuis le rétablissement, de même que les résultats du plasma aux tests sérologiques et fonctionnels. Les essais ainsi conçus réduiraient considérablement les doutes et les raisons données pour expliquer l’absence de bénéfices dans les études.
Conclusion
L’intérêt du plasma de convalescent réside dans son faible taux apparent d’événements indésirables graves. Cependant, cet avantage, par rapport à d’autres traitements non éprouvés contre la COVID-19, ne suffit pas pour justifier l’utilisation du plasma de convalescent en l’absence de données en montrant son efficacité. Le prélèvement de plasma de convalescent mobilise des ressources qui, en l’absence de preuves fiables de son efficacité, pourraient être plus utiles ailleurs. L’utilisation répandue du plasma de convalescent devrait donc être conditionnelle à l’obtention de données de grande qualité dans le cadre d’essais randomisés portant idéalement sur les effets du plasma de personnes récemment rétablies de la COVID-19. La priorisation des essais cliniques sur l’efficacité du plasma de convalescent plutôt que d’autres options thérapeutiques non éprouvées pour la COVID-19 devrait reposer sur les données disponibles, mais aussi sur le contexte sociopolitique. Il est urgent de déterminer la valeur du plasma de convalescent, des cliniciens ayant déjà commencé à traiter des patients atteints de la COVID-19 en milieu hospitalier, hors du cadre d’essais cliniques.
Remerciements
Les auteurs remercient Quazi Ibrahim pour ses conseils statistiques. Yingqi Xiao a reçu une bourse du China Scholarship Council (no 201906240082).
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200794; voir un article connexe (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200648
Intérêts concurrents: Mark Loeb a reçu des honoraires personnels et un soutien non financier de Sanofi, un soutien non financier de l’Organisation mondiale de la Santé, une subvention et des honoraires personnels de Seqirus, ainsi que des honoraires personnels de Pfizer, de Medicago et des National Institutes of Health. Philippe Bégin est cochercheur principal pour un essai clinique randomisé multicentrique sur l’utilisation du plasma en cas de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Il a reçu des honoraires personnels de Novartis, de Pfizer, de Sanofi, d’ALK et d’Aralez, de même que des subventions de DBV Technologies, de Regeneron et de Sanofi pour des travaux autres que la présente étude. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Niveditha Devasenapathy était en charge de la revue systématique; elle a réalisé la méta-analyse, interprété les résultats, rédigé la première version du manuscrit et pris la décision finale quant à la soumission de l’article en vue de sa publication. Gordon Guyatt a approuvé la méthodologie de la revue, interprété les résultats, fourni des commentaires constructifs sur le manuscrit et approuvé la version définitive. Fang et Yingqi Xiao ont réalisé la recherche dans les bases de données chinoises. Borna Tadayon Najafabadi a pris part à l’examen des études admissibles et à l’extraction des données. Zhikang Ye a participé à la conception de la revue systématique et à l’interprétation des résultats. Fang, Yingqi Xiao et Borna Tadayon Najafabadi ont contribué à l’examen et à l’extraction des données. Mark Loeb et Philippe Bégin ont collaboré à l’interprétation des résultats de l’étude et ont fourni des commentaires constructifs sur le manuscrit. Rachel Couban, spécialiste en information médicale, a établi et dirigé la stratégie de recherche. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit. Niveditha Devasenapathy, Gordon Guyatt et Zhikang Ye avaient accès sans restriction à toutes les données de l’étude. Tous les auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Partage des données: Les données extraites des études incluses sont présentées dans les résultats; toutefois, les tableaux complets de ces données peuvent être obtenus de l’auteure-ressource si la demande est jugée raisonnable.
- Accepted May 1, 2020.