RÉSUMÉ
CONTEXTE: Il faudra prendre des mesures continues contre la transmission communautaire du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) pour prévenir d’autres vagues d’infection. Nous avons exploré les effets des interventions non pharmacologiques sur la transmission projetée du SRAS-CoV-2 au Canada.
MÉTHODES: Nous avons créé un modèle de la population canadienne à base d’agents intégrant l’âge qui simule les effets des mesures de santé publique, selon leur intensité actuelle et projetée, sur la transmission du SRAS-CoV-2. Les mesures étudiées sont le dépistage et l’isolement des cas, la recherche de contacts et la mise en quarantaine, l’éloignement sanitaire et la fermeture des espaces partagés. Nous avons évalué l’effet des mesures prises individuellement et celui des mesures combinées.
RÉSULTATS: En l’absence de mesures, 64,6 % (intervalle de crédibilité [ICr] à 95 % : 63,9 %–65,0 %) des Canadiens contracteraient le SRAS-CoV-2 (taux d’attaque global), et 3,6 % (ICr à 95 % 2,4 %–3,8 %) des personnes infectées en mourraient. En poursuivant le dépistage et la recherche de contacts à la même intensité que pendant la période de référence, sans maintenir l’éloignement sanitaire ou refermer certains endroits, le pays connaîtrait un taux d’attaque global de 56,1 % (ICr à 95 % 0,05 %–57,1 %); si ces mesures étaient accrues, le taux d’attaque chuterait à 0,4 % (ICr à 95 % 0,03 %–23,5 %). En combinant ce dernier scénario et le maintien de l’éloignement sanitaire, le taux tomberait à 0,2 % (ICr à 95 % 0,03 %–1,7 %). Ce scénario est le seul qui garderait la demande en soins hospitaliers et intensifs sous la capacité, qui préviendrait presque tous les décès et qui mettrait fin à l’épidémie. La prolongation de la fermeture des écoles aurait un effet minime, mais réduirait la transmission en milieu scolaire. Par contre, la prolongation de la fermeture des lieux de travail et des lieux publics réduirait de manière marquée le taux d’attaque et mettait habituellement ou toujours fin à l’épidémie, selon les différents scénarios simulés.
INTERPRÉTATION: Le contrôle de la transmission du SRAS-CoV-2 passera par l’amélioration et le maintien des mesures, tant communautaires qu’individuelles. Autrement, il y aura une recrudescence de l’épidémie, et un risque de surcharger le système de santé.
Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé a officiellement déclaré le statut de pandémie pour la maladie causée par le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2), la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19)1,2. En date du 28 juin, on comptait plus de 10 millions de cas confirmés et environ 500 000 décès dans 188 pays et territoires3. Les personnes infectées par le SRAS-CoV-2 peuvent être asymptomatiques ou présenter des symptômes légers à graves4. Les hospitalisations et les décès surviennent surtout chez les personnes âgées ou immunodéprimées5,6. Des études semblent montrer que les personnes asymptomatiques peuvent transmettre le virus7, et que la contagion précède l’apparition des symptômes8–10. Ces caractéristiques, qui diffèrent de celles des autres coronavirus humains, ont posé des défis importants dans le contrôle de la transmission du SRAS-CoV-2 à l’échelle locale et mondiale.
Au départ, la santé publique canadienne misait sur le dépistage chez les voyageurs de retour au pays, afin d’isoler les cas importés. Le premier cas de COVID-19, rapporté le 25 janvier, était effectivement une personne revenant de l’étranger11. Les premiers cas détectés en février étaient des voyageurs ou des personnes ayant eu des contacts étroits avec des voyageurs12. Peu après on remarquait une transmission locale, qui s’est accélérée rapidement en mars, le nombre de cas acquis localement surpassant le nombre de cas liés aux voyages à partir du 15 mars12. L’approche de la santé publique est alors passée de l’endiguement à la prévention. Des mesures non pharmacologiques ont été mises en place, comme le dépistage et l’isolement des cas, l’identification des contacts pour les mettre en quarantaine, les mesures d’éloignement sanitaire, notamment la fermeture des espaces partagés, les restrictions de voyage et l’interdiction des grands rassemblements, et d’autres mesures visant à réduire les contacts entre personnes. L’ensemble des provinces et des territoires ont imposé de rigoureuses mesures d’éloignement sanitaire à la mi-mars, qui ont jusqu’à maintenant permis de contrôler l’épidémie13. On prévoit toutefois qu’en l’absence de mesures continues de prévention de la transmission communautaire, d’autres vagues d’infection suivront. Puisque les mesures utilisées pour endiguer la COVID-19 sont sans précédent et que leur efficacité demeure inconnue, la modélisation de leurs effets probables dans une variété de scénarios peut faciliter la prise de décisions14–16.
La dynamique de transmission des maladies infectieuses est habituellement modélisée à l’aide de modèles compartimentaux à l’échelle populationnelle17,18. Les modèles à base d’agents, quant à eux, fonctionnent avec des simulations par ordinateur faisant intervenir des agents qui représentent des personnes, des endroits ou des objets. Ces modèles sont stochastiques, et les agents sont programmés pour interagir entre eux dans l’environnement défini. Comme les agents peuvent avoir des caractéristiques uniques et qu’une hétérogénéité est possible, ce type de modèle convient à la simulation d’événements qui arrivent par hasard, par exemple la contagion à l’apparition des premiers symptômes et l’élimination du virus se produit dans les derniers stades de la maladie. Les modèles à base d’agents sont particulièrement adaptés à l’étude de l’efficacité des mesures de prévention, puisque celles-ci dépendent largement de la structure communautaire et de la dynamique dans la population19,20. Nous présentons ici un modèle à base d’agents conçu à l’Agence de la santé publique du Canada, qui sert à prédire la transmission du SRAS-CoV-2 selon l’imposition de différentes mesures au Canada.
Méthodes
Les détails techniques du modèle, dont les paramètres dérivés d’études publiées et de données canadiennes, sont présentés à l’annexe 1 (accessible ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200990/tab-related-content). Notre modèle a été créé à l’aide d’AnyLogic Professional 8.5.2 (The AnyLogic Company). De multiples éclosions étant en cours au Canada, le modèle donne une estimation générale de la situation et ne tient pas compte de la dispersion géographique des cas.
Mesures et scénarios du modèle
Le modèle intègre 4 mesures (dépistage et isolement des cas, recherche de contacts et mise en quarantaine, éloignement sanitaire permettant de réduire le taux de contacts quotidiens, et fermeture des espaces partagés), qu’il étudie de manière séparée et combinée (tableau 1). Nous avons comparé l’efficacité de chaque mesure à celle de l’absence de mesures pour évaluer la progression libre de la COVID-19 dans une population naïve. Nous avons modélisé les mesures séparément pour connaître leur effet indépendant, et nous avons estimé leur intensité actuelle pour générer des données de référence. Ces données décrivent la situation au Canada pour la période du 7 février au 10 mai 2020, date où les espaces partagés ont commencé à rouvrir. Nous estimons que pendant la période de référence, environ 20 % des cas symptomatiques ont été détectés par dépistage et isolés pour le reste de la période de contagion21; 50 % des membres des ménages des cas identifiés se sont aussi isolés (estimation); 50 % des personnes exposées ont été repérées par la recherche de contacts et mises en quarantaine avant d’être contagieuses (estimation); 100 % des écoles, 40 % des lieux de travail et 50 % des lieux publics ont été fermés du 16 mars au 10 mai22,23; et l’éloignement sanitaire à l’extérieur du domicile a fait diminuer le taux de contacts de 20 % supplémentaires24,25. Les données de référence ont été validées selon le nombre de cas acquis localement au Canada (annexe 1, figure S2).
À partir de la situation de référence, nous avons modélisé 4 scénarios pour la période du 11 mai 2020 au 7 janvier 2022, qui illustrent des trajectoires potentielles de transmission du SRASCoV-2 au Canada selon l’intensité des mesures mises en place pour compenser la réouverture des espaces partagés (figure 1). Les scénarios sont les suivants : mesures de prévention minimales (dépistage et isolement des cas, recherche de contacts et mise en quarantaine à la même intensité que durant la période de référence, et abandon de l’éloignement sanitaire); maintien de l’éloignement sanitaire; dépistage et recherche de contacts accrus, et mesures combinées (maintien de l’éloignement sanitaire, et dépistage et recherche de contacts accrus) (tableau 2). Tous ont été créés à partir de cibles canadiennes jugées réalistes compte tenu des mesures en place. Puis nous nous sommes servis des scénarios pour comparer et explorer les effets de la fermeture prolongée des écoles et des espaces partagés. Nous avons modélisé des fermetures qui se prolongeraient jusqu’en septembre 2020. Lorsque nous supposions une prolongation de la fermeture des écoles, nous levions la fermeture des lieux de travail et des lieux publics, et vice versa. Comme les écoles sont de toute façon fermées pendant l’été, nous avons pu faire une comparaison pour une même période.
Variables et analyses statistiques
Avec le modèle, nous avons produit un cumulatif et un décompte quotidiens des cas pour chaque groupe d’âge et pour chaque état de santé. Parmi les variables évaluées, citons le taux d’attaque global (total des nouveaux cas divisé par la population totale), le taux d’attaque clinique, le taux de cas asymptomatiques, le nombre d’hospitalisations, le nombre d’admissions aux soins intensifs et le taux de mortalité par groupes d’âge. Nous avons aussi construit des courbes épidémiques représentant l’incidence et la prévalence quotidiennes de la maladie par 100 000 personnes. Les résultats stochastiques sont présentés comme les médianes de 50 essais (simulations) par scénario, et les valeurs du 2,5e et du 97,5e centiles, comme l’intervalle de crédibilité (ICr) à 95 %. Le paramètre de transmission a été adapté aux données canadiennes, ce qui donne un taux de reproduction (R0; nombre moyen de personnes infectées par une même personne) de 2,7. Nous avons également réalisé des analyses de sensibilité, afin de voir l’effet de la variation entre 2,0 et 3,0 du R0 pour chacun des 4 scénarios. Enfin, nous avons fait nos analyses statistiques et créé les graphiques à l’aide de Stata 16 (StataCorp).
Approbation éthique
Aucune approbation éthique n’était nécessaire pour cette étude : toutes les données proviennent d’articles publiés ou sont accessibles au public sous forme agrégée.
Résultats
Le taux d’attaque global de la population pour la transmission communautaire en l’absence de mesures de prévention serait de 64,6 % (ICr à 95 % 63,9 %–65,0 %) et le taux de mortalité, de 3,6 % (ICr à 95 % 2,4 %–3,8 %) (annexe 1, figure S3). Nous avons modélisé les mesures séparément pour connaître leur efficacité lorsqu’elles sont utilisées seules. La mesure la plus efficace serait la fermeture partielle des espaces partagés (taux d’attaque global 7,6 %, ICr à 95 % 0,36 %–13,2 %), suivie par le maintien de l’éloignement sanitaire (taux d’attaque global 54,0 %, ICr à 95 % 53,0 %–54,7 %), le dépistage et l’isolement de 20 % des cas et le co-isolement de 50 % des membres du ménage (taux d’attaque global 59,3 %, ICr à 95 % 0,04 %–60,0 %) et enfin l’identification et la mise en quarantaine de 50 % des contacts (taux d’attaque global 62,5 %, ICr à 95 % 62,0 %–63,3 %) (annexe 1, figures S4–S7). La seule mesure qui permettrait de mettre fin à l’épidémie à elle seule serait la fermeture partielle des espaces partagés (mais après 18 mois, et il est probablement irréaliste d’appliquer aussi longtemps une mesure aussi restrictive), alors que toutes les autres mesures différeraient l’épidémie. Aux fins de comparaison, nous avons aussi modélisé les mesures combinées de la période de référence (à l’exception de la fermeture des espaces partagés); nous avons obtenu un taux d’attaque global de 42,3 % (ICr à 95 % 0,03 %–43,3 %), soit une diminution de 22,3 % comparativement à une diminution de 17,8 % pour les mêmes mesures appliquées séparément (annexe 1, figure S8; données supplémentaires disponibles sur demande auprès des auteurs).
Le taux d’attaque global pour le scénario des mesures minimales est de 56,1 % (ICr à 95 % 0,05 %–57,1 %) (tableau 3). Le taux d’attaque global le plus élevé, qui s’explique un pourcentage de personnes asymptomatiques élevé (≈ 50 %), est observé chez les 10 à 19 ans, le taux d’attaque clinique le plus élevé, chez les 20 à 54 ans, les taux d’hospitalisation et de mortalité les plus élevés, chez les personnes de 75 ans et plus, et le taux d’admission aux soins intensifs le plus élevé, chez les 65 à 84 ans (parce que la plupart des personnes de 85 ans et plus décèdent avant de se rendre) (données disponibles sur demande auprès des auteurs). Le scénario des mesures minimales, qui correspond au dépistage et à la recherche de contacts à la même intensité qu’à la période de référence a permis de réduire efficacement le taux d’attaque global, mais ne suffisait pas à endiguer l’épidémie ou à contrôler une recrudescence de l’épidémie à la levée des mesures restrictives (fermetures) (figure 2).
Le scénario des mesures minimales, accompagné du maintien de l’éloignement sanitaire, donne un taux d’attaque global réduit à 41,6 % (ICr à 95 % 0,04 %–43,4 %). En comparaison, le scénario du dépistage et de la recherche de contacts accrus fait tomber le taux d’attaque global à 0,4 % (ICr à 95 % 0,03 %–23,5 %). Dans le dernier scénario, qui combine ces mesures et l’éloignement sanitaire, le taux d’attaque global est de 0,2 % (ICr à 95 % 0,03 %–1,7 %). Toutefois, seul le scénario des mesures combinées éradique l’épidémie, malgré certaines simulations indiquant qu’elle pourrait ne pas être contrôlée avant l’automne 2021 (figure 2).
Les effets comparés des 4 scénarios sur les cas cliniques, les hospitalisations et les admissions aux soins intensifs vont dans le même sens que les effets sur le taux d’attaque global (tableau 3). Nous sommes arrivés à un total de 1113 morts par 100 000 personnes (ICr à 95 % 0–1208) pour les mesures minimales, 739 (ICr à 95 % 0–830) pour le maintien de l’éloignement sanitaire, 4 (ICr à 95 % 0–296) pour le dépistage et la recherche de contacts accrus et 2 (ICr à 95 % 0–13) pour les mesures combinées. Comparativement à l’absence de mesures de santé publique, les mesures minimales préviendraient 5312 cas cliniques, 798 hospitalisations et 320 décès par 100 000 personnes, alors que les mesures combinées préviendraient 39 618 cas cliniques, 4529 hospitalisations et 1431 décès par 100 000 personnes (données disponibles sur demande auprès des auteurs). Dans les scénarios des mesures minimales et du maintien de l’éloignement sanitaire, la demande de soins hospitaliers et intensifs excéderait la capacité maximale (figures 3 et 4). Dans celui du dépistage et de la recherche de contacts accrus, la demande reste sous la capacité dans la plupart des simulations, mais la dépasse dans certaines. Seules les mesures combinées permettent dans tous les cas de rester sous la capacité maximale des hôpitaux et des services de soins intensifs.
La prolongation de la fermeture des écoles dans les scénarios des mesures minimales et de maintien de l’éloignement sanitaire réduit très peu le taux d’attaque global par rapport aux scénarios seuls (tableau 4) et ne fait qu’allonger l’épidémie (figure 5). Cela dit, elle préviendrait 924 cas cliniques, 95 hospitalisations et 26 décès par 100 000 personnes (tableaux 3 et 4) comparativement aux mesures minimales seules, et 351 cas cliniques, 71 hospitalisations et 28 décès par 100 000 personnes comparativement au seul maintien de l’éloignement sanitaire. En outre, elle réduirait le nombre d’infections acquises dans les établissements scolaires de 935 par 100 000 personnes avec des mesures minimales et de 310 par 100 000 personnes avec le maintien de l’éloignement sanitaire, par rapport aux scénarios seuls, mais son influence sur l’épidémie serait minime en raison de la poursuite de la transmission communautaire. La fermeture des écoles ferait augmenter la transmission à domicile (379 et 287 infections supplémentaires par 100 000 personnes, respectivement), ce qui limite l’avantage de la transmission réduite dans les écoles. Dans le scénario de dépistage et de recherche de contacts accrus et le scénario des mesures combinées, la prolongation de la fermeture des écoles assure le contrôle de l’épidémie dans la plupart des simulations (figure 5).
En comparaison, la prolongation de la fermeture des lieux de travail et des lieux publics donne des taux d’attaque global beaucoup moins élevés avec les mesures minimales (0,4 %; ICr à 95 % 0,1 %–57,0 %) et avec le maintien de l’éloignement sanitaire (0,3 %; ICr à 95 % 0,04 %–43,3 %) (tableau 5). L’épidémie prend fin dans plus de la moitié des simulations de prolongation selon ces scénarios, contre toutes les simulations pour le dépistage et la recherche de contacts accrus ou les mesures combinées (figure 6). Si la fermeture partielle des lieux de travail et des lieux publics est plus efficace que la fermeture des écoles, c’est parce qu’une plus grande proportion des infections sont acquises en milieu de travail (12,4 %–14,4 %) et dans les lieux publics (22,5 %–25,6 %) que dans les écoles (3,3 %–9,0 %), quel que soit le scénario. La différence s’explique par le fait qu’il y a beaucoup plus de gens sur le marché du travail et dans la communauté qu’à l’école et par la poursuite de la transmission communautaire et à domicile malgré la fermeture des écoles.
Selon l’analyse de sensibilité, les résultats du modèle dépendent du paramètre de transmission (β) et du taux de reproduction (R0) associé. Lorsque le R0 est abaissé à 2,4 (comparativement à l’estimation pour la situation de référence, R0 = 2,7), toutes les simulations des scénarios de dépistage et de recherche de contacts accrus et des mesures combinées montrent la fin de l’épidémie et le maintien de la demande sous la capacité des hôpitaux et des services de soins intensifs. Lorsque le R0 est abaissé à 2,0, la capacité des hôpitaux et des unités de soins intensifs est aussi respectée pour le scénario du maintien de l’éloignement sanitaire, et même dans la plupart des simulations du scénario des mesures minimales. Au contraire, lorsque le R0 est augmenté à 3,0, aucun scénario ne permet le contrôle de l’épidémie, et seul le scénario des mesures combinées ne fait pas déborder les hôpitaux et les unités de soins intensifs (annexe 1, figures S13–S24).
Interprétation
L’objectif était d’estimer la situation de la transmission du SRASCoV-2 au pays et de modéliser les défis auxquels nous devrons probablement faire face à la réouverture des espaces partagés au Canada. Malgré leur efficacité, les fermetures ont eu des effets néfastes sur le plan économique, sociale et de la santé. Le moment de la réouverture dépendra largement de la situation dans les provinces et territoires13,26. Notre modèle à base d’agents montre que toutes les mesures étudiées permettraient de réduire la transmission à un certain degré, mais que l’accroissement du dépistage pour isoler 50 % des cas et l’intensification de la recherche visant à mettre en quarantaine tous les contacts de ces cas constituent la méthode la plus efficace, surtout lorsqu’on la combine avec le maintien de l’éloignement sanitaire qui réduirait de 20 % le taux de contacts dans la population. Ces mesures devront rester en place jusqu’à ce que l’épidémie prenne fin (grâce à l’immunité collective ou à la vaccination), sans quoi il y aura une résurgence des cas.
La fermeture partielle des espaces partagés est la seule mesure étudiée qui permettrait à elle seule d’endiguer l’épidémie. Les résultats portent à croire que c’est principalement la fermeture des lieux de travail et des lieux publics, et non des écoles, qui serait efficace. La fermeture des écoles, bien qu’elle puisse prévenir la transmission en milieu scolaire, n’augmente que peu l’effet de la fermeture partielle des espaces partagés et ne suffit pas pour réduire le taux d’attaque global et contrôler l’épidémie, surtout si la transmission communautaire — majoritairement due aux personnes asymptomatiques et présymptomatiques contagieuses — persiste. Sans autres mesures de santé publique, elle ne ferait que prolonger l’épidémie14. Nos conclusions concordent avec celles des premières études, qui indiquaient que la fermeture des écoles pourrait ne pas être aussi efficace que d’autres mesures moins restrictives27. La fermeture des lieux de travail et des espaces partagés se révèle beaucoup plus efficace, parce que la transmission se fait principalement dans ces endroits. Comme des études examinant la situation d’autres pays14,28, nous avons conclu qu’en l’absence de mesures, environ les deux tiers des Canadiens seraient infectés. Nous avons fait des projections pour des mesures réalistes et cohérentes avec les directives en vigueur au Canada afin de réduire la proportion de la population infectée, qui diminuera quelque peu ou presque entièrement selon la trajectoire des mesures prises dans les prochains mois, tel que démontré dans d’autres modèles14,16. Le taux d’attaque réel dépendra du degré d’accroissement du dépistage et de l’isolement ainsi que de la recherche de contacts et de la mise en quarantaine21,29, et de la mesure dans laquelle la population canadienne adopte les mesures d’éloignement sanitaire et de protection individuelle22,24,30. Si nous rouvrons les espaces partagés sans mettre en place d’autres mesures de santé publique, l’épidémie reprendra dans une ampleur tributaire de nos efforts à venir, ce qui fera déborder le système de santé et obliger les autorités à réinstaurer des mesures de confinement.
Limites de l’étude
De nombreuses caractéristiques épidémiologiques importantes du SRAS-CoV-2 demeurent inconnues, particulièrement la susceptibilité (possiblement inférieure) des enfants à l’infection par rapport aux adultes, le taux réel d’infections asymptomatiques et l’apparition d’une immunité durable. Nous avons créé un modèle national qui tente d’agréger des épidémies régionales hétérogènes; il pourrait donc ne pas être représentatif de la transmission du SRAS-CoV-2 dans toutes les collectivités. Néanmoins, nous avons calibré le modèle à partir de données canadiennes, et les résultats montrent une bonne correspondance avec les cas acquis localement. Notre modèle ne tient pas compte de la transmission parmi les travailleurs de la santé et les résidents des établissements de soins de longue durée, qui sont la source de multiples éclosions au pays. Comme la transmission dans ces 2 groupes n’a pas la même ampleur dans toutes les provinces et tous les territoires, un modèle national ne permet pas d’étudier ces grappes à l’échelle régionale et locale. De plus, les milieux où surviennent les éclosions sont confrontés à des enjeux uniques qui exigent souvent des mesures de contrôle et de prévention des infections plus intenses que celles mises en place dans la population générale31. Notre modèle est représentatif de la situation nationale et donne une projection de référence de la transmission communautaire au Canada. C’est pourquoi il faut interpréter les résultats en tenant compte que, dans certaines circonstances, des éclosions locales pourraient mener à un nombre de cas, d’hospitalisations et de décès plus élevé que prévu.
Conclusion
Le modèle fournit des estimations provisoires de la transmission de la COVID-19 dans la population canadienne et des effets des mesures combinées en matière de réduction et d’élimination de la transmission au pays. Les premières mesures de contrôle de l’épidémie ont été très efficaces, mais lorsque les mesures restrictives seront levées, il faudra intensifier d’autres mesures pour prévenir la transmission, réduire au minimum le nombre de cas et ne pas surcharger les systèmes de santé.
Remerciements
Les auteurs remercient Lujie Duan de l’Université de la Saskatchewan, André Jacques de SimWell Consulting and Technologies et Deirdre Hennessy de Statistique Canada pour leur aide sur le plan technique.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200990; voir le commentaire connexe (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201758
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Victoria Ng, Aamir Fazil et Nicholas Ogden ont contribué à la conceptualisation. Ainsley Otten, Lisa Waddell et Nicole Atchessi ont contribué à la collecte de données. Victoria Ng a contribué à l’analyse. Christina Bancej et Patricia Turgeon ont contribué à l’interprétation des données. Victoria Ng, Christina Bancej et Patricia Turgeon ont rédigé l’ébauche de l’article, que tous les auteurs ont révisé. Tous les auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Partage des données: Toutes les données issues des modélisations peuvent être obtenues sur demande auprès de l’auteure de correspondance, tout comme les données épidémiologiques utilisées. Les données liées au nombre de cas de COVID-19, au nombre d’hospitalisations et à la mortalité seront sujettes aux lois sur la confidentialité. Les personnes intéressées peuvent communiquer avec l’auteure de correspondance, qui les mettra en contact avec la source des données d’origine.
- Accepted July 21, 2020.