Les lésions myocardiques sont fréquentes chez les patients hospitalisés qui sont traités pour la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), et elles ont été associées à des issues négatives dans une étude connexe.
Il a été montré précédemment que les lésions myocardiques sont un facteur prédictif d’issues négatives dans d’autres populations de patients aux soins intensifs et pourraient donc ne pas être spécifiques à la COVID-19.
La survenue d’arythmies semble plus fréquente chez les patients atteints de la COVID-19 que chez les personnes ayant contracté une autre infection à coronavirus; cela dit, cette différence pourrait être due au fait que les études précédentes employaient des techniques d’évaluation différentes.
Il faudra mener d’autres recherches pour mieux caractériser la relation entre les lésions myocardiques et les issues négatives chez les patients atteints de la COVID-19.
Les lésions myocardiques sont fréquentes chez les patients hospitalisés; on estime qu’elles sont présentes chez 8 % à 28 % des patients hospitalisés en raison de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19)1. Définies par une élévation du taux de troponine au-delà du 99e percentile d’une population de référence saine, les lésions myocardiques associées à la COVID-19 peuvent être dues à des atteintes myocardiques, ischémiques ou non2. Les patients atteints de la COVID-19 aux soins intensifs présentent une élévation des troponines plus importante que ceux hospitalisés hors des soins intensifs; des études observationnelles ont rapporté une élévation des troponines pouvant atteindre 59 % chez des patients qui sont subséquemment décédés2.
Dans une étude sur le même sujet, Si et ses collègues3 ont rapporté une association entre le pic de troponine et le besoin d’assistance ventilatoire et le décès chez des patients atteints de la COVID-19 admis dans un hôpital de Wuhan (Chine). Les auteurs ont conclu qu’une augmentation du pic de troponine durant l’hospitalisation était un facteur prédictif indépendant du besoin d’assistance ventilatoire effractive et de la mortalité, toutes causes confondues. Une corrélation significative a été établie entre la détection de lésions myocardiques dans les 72 heures suivant l’hospitalisation et une mortalité 10 fois plus élevée. De plus, contrairement aux autres coronavirus infectant les humains, le virus causant la COVID-19 a été associé à un nombre important d’épisodes d’arythmie, y compris des arythmies fatales.
Bien qu’il soit utile pour la communauté scientifique de montrer que les lésions myocardiques sont un facteur prédictif d’issues négatives chez les personnes atteintes de la COVID-19, il ne s’agit pas forcément d’une observation spécifique à cette maladie. La relation entre l’élévation des troponines et l’augmentation de la mortalité a été décrite précédemment dans des populations de patients hospitalisés, en soins intensifs et hors soins intensifs. Dans une étude de 2015 portant sur des patients hors soins intensifs présentant une élévation des troponines sans qu’on envisage un syndrome coronarien aigu comme premier diagnostic, on a observé une association indépendante entre l’élévation des troponines et la mortalité toutes causes confondues durant l’année suivante (rapport de cotes [RC] 3,37, intervalle de confiance [IC] 95 % 1,55–7,34)4.
Il a également été montré que l’élévation des troponines est un facteur prédictif de mortalité chez les patients aux soins intensifs. Parmi les études sur le sujet, une vaste étude de cohorte rétrospective portant sur près de 20 000 patients d’unités mixtes de soins intensifs qui avait utilisé les antécédents de syndrome coronarien aigu comme critère d’exclusion a montré que l’élévation des troponines était un facteur prédictif indépendant de mortalité dans les 30 jours, après ajustement pour tenir compte de la gravité de la maladie (RC 1,82, IC 95 % 1,62–2,04)5. Chez les patients atteints de sepsis, une méta-analyse ambitieuse regroupant 13 études et portant sur 1227 patients admis aux soins intensifs a montré qu’une élévation des troponines durant le premier jour d’hospitalisation était un facteur de risque de décès indépendant6. L’élévation des troponines pourrait potentiellement servir de marqueur de la gravité de l’atteinte, ce qui n’est pas spécifique à la COVID-19 et pourrait être utilisé pour la stratification des risques.
L’élévation de la troponine cardiaque hypersensible est un paramètre de laboratoire couramment détecté chez les patients se présentant à l’hôpital. Une étude prospective de 2019 a conclu que la prévalence de l’élévation des troponines au-delà du seuil du 99e percentile dans une population se présentant aux urgences sans soupçon de syndrome coronarien aigu était de 12,4 %7. La fréquence d’élévation des troponines chez les patients aux soins intensifs était encore plus élevée. Une revue systématique de 2008 portant sur 20 études et 3278 patients a montré une prévalence de 43 %8. Dans le cas des patients admis aux soins intensifs avec un diagnostic de sepsis ou de choc septique, la prévalence de l’élévation des troponines atteignait même 60 %8. Le fait qu’une étude liée3 n’ait rapporté une élévation des troponines que chez 14,7 % des patients pourrait simplement découler de ce que les patients du groupe sans élévation étaient moins gravement malades, ce qui pourrait expliquer en partie les différences extrêmes concernant la mortalité.
Si et ses collègues ont noté l’incidence particulièrement élevée d’arythmies observée dans le cadre de leur étude, comparativement à une étude précédente portant sur des patients atteints du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), durant laquelle aucune arythmie significative sur le plan hémodynamique n’avait été observée9. Cela dit, les patients ayant participé à l’étude sur le SRAS n’ont pas été suivis à l’aide d’un monitorage cardiaque en continu, contrairement aux patients de l’étude plus récente. Ils ont plutôt subi un électrocardiogramme chaque fois qu’il était indiqué sur le plan clinique (tachycardie, bradycardie, hypotension ou autre indication). Il est plausible que l’incidence supérieure d’arythmies observée dans l’étude récente découle de l’efficacité accrue de la détection par le monitorage en continu. Bien sûr, il n’est pas rassurant que 6 patients aient subi une arythmie fatale, mais l’absence d’une population témoin ne permet pas d’en attribuer la cause à la COVID-19, puisque la gravité de l’état des patients à l’étude aurait pu jouer un rôle dans le décès. Enfin, les auteurs ont inclus des données sur l’allongement de l’intervalle QT dans les cas où les patients prenaient des médicaments ayant cet effet. La formule utilisée pour calculer l’intervalle QT corrigé (QTc) n’a pas été décrite. S’il s’agissait de la formule de Bazett (automatique), le QTc pourrait avoir été surestimé, et une correction par une autre formule (Fridericia) est à conseiller.
Malgré les quelques limites que nous venons de décrire, nous aimerions féliciter les auteurs d’avoir décrit un aspect clinique nécessitant une étude approfondie, qui pourrait s’avérer pertinent pour la prise en charge de la COVID-19. Il serait indiqué de mener d’autres recherches pour explorer et préciser la relation entre les lésions myocardiques et les issues négatives chez les patients hospitalisés en raison de la COVID-19.
Footnotes
Voir la version anglaise ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201230; voir la recherche connexe (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200879
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été sollicité et il n’a pas été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les deux auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.