RÉSUMÉ
CONTEXTE: La demande sans précédent de respirateurs N95 durant la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a entraîné une pénurie mondiale. Nous avons validé un protocole de décontamination rapide et économique répondant aux normes réglementaires afin de permettre la réutilisation sûre de ce type de masque.
MÉTHODES: Nous avons contaminé 4 modèles courants de respirateurs N95 avec le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) et avons évalué l’inactivation virale après une désinfection de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 0 %. De même, nous avons étudié l’efficacité de la désinfection thermique, à une humidité relative allant de 0 % à 70 %, de masques contaminés à Escherichia coli. Enfin, nous avons examiné des masques soumis à de multiples cycles de désinfection thermique: nous avons évalué leur intégrité structurelle à l’aide d’un microscope à balayage, et leurs propriétés protectrices au moyen des normes du National Institute for Occupational Safety and Health des États-Unis relatives à la filtration particulaire, à la résistance respiratoire et à l’ajustement.
RÉSULTATS: Une seule désinfection thermique a suffi pour que le SRAS-CoV-2 ne soit plus décelable sur les masques étudiés. En ce qui concerne les masques contaminés à E. coli, une culture de 24 heures a révélé que la bactérie n’était pratiquement plus décelable sur les masques désinfectés à 70 °C et à une humidité relative de 50 %, contrairement aux masques non désinfectés (densité optique à une longueur d’onde de 600 nm : 0,02 ± 0,02 contre 2,77 ± 0,09; p < 0,001), mais qu’elle persistait sur les masques traités à une humidité relative moindre. Les masques ayant subi 10 cycles de désinfection avaient toujours des fibres de diamètre semblable à celui des fibres des masques non traités, et ils répondaient encore aux normes d’ajustement, de filtration et de résistance respiratoire.
INTERPRÉTATION: La désinfection thermique a réussi à décontaminer les respirateurs N95 sans compromettre leur intégrité structurelle ni modifier leurs propriétés. Elle pourrait se faire dans les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée avec de l’équipement facilement accessible, ce qui réduirait la pénurie de N95.
La pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a pris d’assaut de nombreux systèmes de santé dans le monde. En même temps, la demande sans précédent d’équipement de protection individuelle (EPI) a épuisé les réserves et brisé les chaînes d’approvisionnement mondiales en respirateurs N95. À l’heure actuelle, les travailleurs de la santé de première ligne représentent plus de 10 % des personnes infectées par le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) dans certaines régions, et on s’attend à ce que cette proportion augmente si les réserves d’EPI continuent à diminuer1,2. Par conséquent, la protection des travailleurs de première ligne contre le SRAS-CoV-2 est aujourd’hui une préoccupation mondiale urgente3.
Les respirateurs N95 à usage unique protègent ceux qui les portent des particules infectieuses aéroportées, donc sont essentiels pour les travailleurs de première ligne pendant la pandémie de COVID-193. Cependant, la pénurie mondiale d’EPI qui sévit actuellement a forcé les organismes de réglementation à revoir leurs mesures de lutte contre les infections. Avant la pandémie, les lignes directrices recommandaient la mise au rebut des respirateurs N95 après tout contact avec un patient. Aujourd’hui, elles recommandent l’utilisation du même masque tout au long d’un quart de travail, et parfois plus longtemps4. Or, la réutilisation des masques à usage unique dans les milieux où l’exposition à des agents pathogènes aéroportés est élevée — par exemple lors de la réalisation d’interventions médicales générant des aérosols auprès de patients atteints de la COVID-19 — pourrait entraîner l’accumulation de matières contagieuses sur la surface des masques, mettant en péril la santé et la sécurité du personnel et des patients5,6. L’inactivation des agents pathogènes accumulés sur les respirateurs à usage unique par une technique qui maintiendrait les propriétés protectrices de ces derniers pourrait permettre une réutilisation sûre et aider à contrer temporairement la pénurie. Mais pour le moment, on croit que les méthodes de stérilisation régulièrement employées dans les établissements de santé peuvent dégrader les respirateurs à usage unique et, par le fait même, nuire à leur bon ajustement et à leur capacité de filtration7.
La désinfection thermique est possiblement une solution au problème, et se veut une stratégie de décontamination des respirateurs à usage unique largement accessible et économique. Des études récentes montrent que le SRAS-CoV-2 est très sensible à la chaleur : 5 minutes à 70 °C suffisent à l’inactiver5,8. Les microfibres de polypropylène des respirateurs N95 offerts sur le marché ont un point de dégradation supérieur à 130 °C, ce qui laisse croire que le filtre de ces masques pourrait résister à une exposition répétée à une température de 70 °C9,10. Cependant, l’efficacité antivirale de la désinfection thermique à éliminer le SRAS-CoV-2 sur les respirateurs N95 et l’effet protecteur des respirateurs traités à la chaleur n’ont pas été validés selon les normes réglementaires élevées des États-Unis.
Nous avons cherché à savoir si la désinfection thermique à 70 °C pendant 60 minutes inactive les agents pathogènes, dont le SRAS-CoV-2, et si les propriétés protectrices essentielles des respirateurs N95 sont maintenues après de multiples cycles de désinfection et de réutilisation dans un contexte réel.
Méthodes
Protocole de désinfection thermique des respirateurs N95
Nous avons réalisé des cycles de désinfection thermique de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 0 % ou de 50 % sur 4 modèles de respirateurs N95 couramment offerts sur le marché (8110S, 9105S, 8210 et 1860S, de 3M). Nous avons d’abord placé les respirateurs dans des pochettes de stérilisation (Steril-Peel, de GS Medical Packaging). Afin de contrôler la température et les conditions hygrométriques, nous avons réglé l’armoire chauffante avec humidité BevLes (BevLes inc.) à 70 °C et à une humidité relative de 0 % ou de 50 %. Nous avons également eu recours à un thermo-hygromètre numérique (Hagen Group inc., Canada) comme mesure supplémentaire de contrôle de la qualité. De plus, nous avons reproduit les fluctuations potentielles de température dans le monde réel en laissant refroidir les masques à température ambiante pendant 5 minutes à mi-cycle.
Inactivation du SRAS-CoV-2
Nous avons évalué l’inactivation du SRAS-CoV-2 sur les 4 modèles de N95 étudiés. Nous avons coupé des N95 non traités et des N95 ayant subi 10 traitements à la chaleur en morceaux de 1 cm2, puis avons contaminé la surface extérieure de 3 échantillons par modèle (n = 3 pour chaque type de respirateur) avec 5 μL de SRAS-CoV-2 (environ 7,8 log dose infectieuse en culture tissulaire 50 % par mL [DICT50/mL]) dans un laboratoire de sécurité biologique de niveau 3. Nous avons soumis les respirateurs contaminés à une désinfection thermique de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 0 %, avec ou sans refroidissement pendant 5 minutes à mi-cycle, puis les avons placés dans un milieu de transport viral de 300 μL pendant 30 minutes pour effectuer une élution virale. Nous avons ensuite titré les particules virales infectieuses recueillies, au moyen d’une évaluation normalisée de la DICT50 sur des cellules Vero E6, comme décrit par Chin5. Des échantillons de respirateurs contaminés non traités à la chaleur ont servi de témoins.
Inactivation bactérienne
Dans le but de tester l’inactivation bactérienne, nous avons coupé des N95 non traités (1860S, de 3M) en morceaux de 1 cm2, puis en avons contaminé la surface extérieure avec 100 μl d’une solution à base d’Escherichia coli (4 × 108 unités formant des colonies [UFC] par mL; densité optique de 0,612 à une longueur d’onde de 600 nm). Nous avons aussi « contaminé » un témoin négatif avec un milieu Luria–Bertani pur. Les échantillons contaminés ont été traités pendant 60 minutes à une température de 70 °C et à une humidité relative de 0 %, de 25 %, de 40 % ou de 50 % (n = 4 pour chaque condition). Nous avons également traité un échantillon à 90 °C et à une humidité relative de 70 %, et avons laissé un échantillon témoin contaminé à E. coli à température ambiante pendant 1 heure. Nous avons ensuite lavé individuellement les échantillons de N95 dans 1 mL de milieu Luria–Bertani et déposé 100 μL du milieu de lavage sur des plaques de culture à la gélose Luria–Bertani. Nous avons compté les colonies après 24 heures d’incubation à 37 °C (figure 1). Nous avons également ajouté 9,1 mL de milieu Luria–Bertani aux 900 μl de milieu de lavage restants contenant les échantillons de N95, puis avons fait incuber le tout à 37 °C dans un bain-marie à agitation pour cultures. Nous avons mesuré la densité optique à une longueur d’onde de 600 nm (spectrophotomètre microplaques Epoch, de BioTek) après 24 heures pour estimer la concentration bactérienne.
Analyse microstructurelle du filtre des N95
Afin de déterminer si l’exposition du filtre des N95 à une température élevée en dégradait les microfibres de polymère, nous avons analysé des échantillons de filtre de 1 cm2 venant de respirateurs non traités et de respirateurs ayant subi 10 désinfections thermiques à 70 °C et à une humidité relative de 0 % ou de 50 %. Chaque échantillon a été enduit de 10 nm de carbone, puis examiné à l’aide d’un microscope électronique à balayage (XL30, de FEI) à un grossissement de 150 fois, de 200 fois, de 650 fois et de 1200 fois, à 5 keV. Une analyse morphologique de 10 fibres sélectionnées aléatoirement dans les divers quadrants d’une image représentative de chaque échantillon a été réalisée à l’insu avec ImageJ (https://imagej.nih.gov/ij/). Nous avons aussi mesuré le diamètre de 40 fibres par condition (10 fibres par type de masque) afin de calculer le diamètre moyen des fibres après chaque cycle de désinfection.
Essai d’ajustement quantitatif des respirateurs N95
L’exposition des respirateurs à des températures élevées pourrait avoir une incidence sur les propriétés mécaniques de leurs composants, par exemple sur l’élasticité des serre-tête et l’ajustabilité du pince-nez, ce qui risque de permettre le passage de particules. Pour évaluer l’étanchéité des respirateurs, nous avons fait un essai d’ajustement quantitatif normalisé pour 46 respirateurs (n = 12 par type de respirateur, sauf pour le 1860S, où n = 10) au moyen du testeur d’ajustement Portacount Pro+ 8038 (TSI Incorporated) et du générateur de particules 8026 (TSI Incorporated) selon les directives réglementaires gouvernementales en vigueur (Health and Safety Executive du Royaume-Uni, Occupational Safety and Health Administration [OSHA] des États-Unis et Association canadienne de normalisation [CSA])11–13. La concentration des particules de plus de 0,02 μm de diamètre détectées allait de 0,01 à 2,5 × 105 particules/cm3. Nous avons mesuré la concentration moyenne des particules dans l’air ambiant et sur les masques durant les essais normalisés, puis en avons calculé le ratio, qui correspond au facteur d’ajustement; selon l’OSHA, le seuil de passage est un facteur de 10011. Les respirateurs ont été ajustés pour 2 participants (1 homme et 1 femme) lors d’un test à l’insu, puis ont subi une désinfection thermique à une humidité relative de 0 % ou de 50 % (n = 23 pour chaque condition), comme susmentionné. Après 5, 10 et 15 cycles de désinfection, nous avons refait un essai d’ajustement quantitatif pour chaque respirateur, avec les mêmes participants. Ceux-ci ont aussi noté l’ajustement subjectif, l’ajustabilité et le confort de chaque respirateur décontaminé, par rapport au respirateur original, selon l’échelle d’évaluation du confort de la CSA (0 = aucun inconfort, 1 = léger inconfort qui peut être ignoré, 2 = certain inconfort, mais qui ne nuit pas à l’exécution des tâches, 4 = inconfort inacceptable)13.
Analyse de l’efficacité du filtre et de la résistance respiratoire des N95
Nous nous sommes servis de la norme abrégée du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) pour évaluer la résistance respiratoire et l’efficacité de la filtration particulaire de n = 12 masques non traités et de n = 58 respirateurs N95 ayant subi 5 ou 10 cycles de désinfection thermique à une humidité relative de 0 % ou de 50 %14–16. Pour mesurer la résistance respiratoire, nous avons fixé les respirateurs sur un appareil de test ayant un débit d’air de 85 ± 2 L/min. Selon la norme du NIOSH, une résistance respiratoire inférieure à 343,23 Pa est jugée acceptable16. Pour évaluer l’efficacité de la filtration selon les protocoles du NIOSH, nous avons prétraité les respirateurs à une humidité relative de 85 ± 5 % et à une température de 38 ± 2,5 °C pendant 25 ± 1 heures, puis les avons fixés sur un compteur de particules à condensation homologué (modèle 3772, de TSI Incorporated). Nous avons testé les respirateurs à l’aide de billes de latex de polystyrène presque monodispersées à un débit de 85 ± 2 L/min, à une température de 21 à 26 °C et à une humidité relative de 30,4 % à 43,2 %. L’efficacité de la filtration particulaire correspond au pourcentage des particules utilisées (diamètre médian : 0,075 ± 0,020 μm) qui sont retenues par le respirateur. Dans le cas des masques N95, elle doit être d’au moins 95 %15.
Analyse statistique
Nous avons effectué les analyses statistiques à l’aide du logiciel JMP (version 15.1.0, de SAS Institute) et calculé les statistiques descriptives de tous les respirateurs testés, pour chaque condition. Toutes les moyennes sont accompagnées d’un écart-type (± ET). Comme la taille de l’échantillon était limitée en raison de la pénurie mondiale de respirateurs N95, nous avons effectué, pour chaque condition, un test t pour échantillon unique afin de comparer les moyennes des groupes de masques désinfectés aux valeurs réglementaires américaines. Pour le critère d’ajustement quantitatif, nous avons calculé que la taille de l’échantillon devait être de n = 12 pour détecter un facteur d’ajustement moyen de 120 (seuil de passage : 100; facteur d’ajustement moyen des masques non traités : 190 ± 15) avec un niveau α de 0,01 et une puissance de 0,9517. Nous avons opté pour un niveau α de 0,01 pour les valeurs p unilatérales afin d’augmenter la rigueur de l’analyse et de tenir compte des comparaisons multiples. Par ailleurs, nous avons considéré que les masques désinfectés respectaient les normes réglementaires des États-Unis uniquement lorsque la limite inférieure de l’intervalle de confiance (IC) à 99 % était supérieure au seuil de passage obligatoire. Voir le tableau 1 pour en savoir plus sur le modèle expérimental de l’étude et les méthodes statistiques employées.
Résultats
Inactivation du SRAS-CoV-2
Aucune particule infectieuse de SRAS-CoV-2 n’a pu être détectée sur les respirateurs préalablement contaminés puis traités à la chaleur sèche (70 °C pendant 60 minutes), alors que le virus était toujours en concentration élevée sur les respirateurs non traités (tableau 2).
Inactivation bactérienne
Aucune bactérie E. coli n’a été détectée sur les respirateurs N95 contaminés ayant subi un traitement à la chaleur de 60 minutes à une température de 70 °C et à une humidité relative de 50 %, ou à une température de 90 °C et à une humidité relative de 70 %. Comme le montre la figure 1, plus de 1000 colonies bactériennes étaient toujours détectables dans les échantillons exposés à la chaleur sèche (70 °C et humidité relative de 0 %), tandis qu’elles étaient considérablement moins nombreuses dans ceux exposés à la chaleur humide (70 °C et humidité relative de 25 % ou de 40 %). Bref, on peut dire que la désinfection thermique de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 50 % a éliminé E. coli des N95 (tableau 3, figure 1).
Propriétés structurelles du filtre des N95
Nous avons analysé le filtre de respirateurs N95 neufs et non traités (témoins) et avons constaté que le diamètre moyen des fibres était de 3,88 ± 2 μm. Même après 10 cycles de désinfection thermique de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 0 % ou de 50 %, le diamètre moyen des fibres demeurait dans les limites des filtres de N95 non traités précisées dans le brevet américain (figure 2)9.
Autres propriétés des respirateurs
Nous avons effectué des essais d’ajustement quantitatifs sur 4 types de respirateurs N95 couramment offerts sur le marché après 5, 10 et 15 cycles de désinfection thermique à une humidité relative de 0 % ou de 50 % (n = 23 pour chaque condition; figure 3). Tous les groupes de respirateurs soumis à une désinfection thermique dépassaient de beaucoup le facteur d’ajustement de 100, soit la norme de passage de l’OSHA indiquant une protection respiratoire adéquate (p < 0,001 pour tous les groupes), ainsi que la limite inférieure des IC à 99 % (figure 3). Aucun des respirateurs désinfectés n’a échoué le test, sur les 138 essais d’ajustement quantitatifs réalisés. Par ailleurs, l’ajustement subjectif et le confort des respirateurs décontaminés demeuraient comparables à ceux des masques neufs, et ont été évalués à 0 (aucun inconfort) sur l’échelle d’évaluation du confort de la CSA.
De plus, nous avons testé l’efficacité de la filtration particulaire et la résistance respiratoire de respirateurs N95 — les 4 mêmes types — ayant subi 5 ou 10 cycles de désinfection thermique à une humidité relative de 0 % ou de 50 % (figure 3). L’efficacité de filtration des respirateurs désinfectés était considérablement supérieure à 95 % après 5 et 10 cycles de désinfection (p < 0,001). En outre, pour tous les groupes de respirateurs testés, la résistance respiratoire était nettement inférieure à la norme maximale acceptable de 343,23 Pa (p < 0,001).
Interprétation
Étant donné les récentes études mettant en évidence la sensibilité à la chaleur du SRAS-CoV-2, nous avons décidé de soumettre 4 modèles courants de respirateurs N95 à usage unique à une désinfection thermique5,8. Nous avons constaté qu’un seul cycle de désinfection thermique de 60 minutes à 70 °C et à une humidité relative de 0 % inactivait efficacement le SRAS-CoV-2 sur les 4 types de masques, et que le réglage de l’humidité relative à 50 % ou plus éliminait également E. coli. Nous avons aussi observé que la désinfection thermique n’altérait pas la structure du filtre électret des respirateurs et qu’elle n’influait pas sur l’ajustement, la filtration, la résistance respiratoire et le confort après au moins 10 cycles à une humidité relative de 0 % ou de 50 %.
Comme il y a une grande demande d’EPI durant la pandémie de COVID-19, les travailleurs de première ligne sont souvent appelés à réutiliser des N95 à usage unique4,18. Des stratégies visant la désinfection et la redistribution de N95 assignés augmenteraient la sécurité des travailleurs de la santé et ralentiraient l’épuisement des stocks. Or, jusqu’à présent, il n’existait aucun protocole de décontamination à grande échelle des N95 qui soit sûr et universellement accessible.
Pour réagir efficacement à la pénurie mondiale d’EPI, il faut largement diffuser des stratégies de désinfection et de réutilisation. La Food and Drug Administration des États-Unis a récemment autorisé la stérilisation en urgence de respirateurs N95 à usage unique au moyen de peroxyde d’hydrogène vaporisé21,22. Cette substance inactive le SRAS-CoV-2 et d’autres agents pathogènes sur les respirateurs N95 tout en préservant l’ajustement quantitatif de ces derniers pour au moins 3 cycles de décontamination23,24. Cette technologie est toutefois limitée aux respirateurs qui ne sont pas à base de cellulose, ce qui élimine une bonne partie des N95, et est inaccessible dans la plupart des hôpitaux et des autres établissements25. La désinfection thermique, quant à elle, peut être réalisée à faible coût à l’aide de fours à convection mécanique classiques, que l’on trouve couramment dans les cuisines commerciales, les laboratoires et les installations de stérilisation. La grande capacité de ces fours permet la désinfection de milliers de masques par appareil par jour, ce qui pourrait favoriser l’adoption de la technique à une échelle suffisante pour accroître les stocks mondiaux d’EPI. La désinfection thermique pourrait donc être une solution envisageable dans certaines régions à revenu faible ou intermédiaire, où l’accès à l’EPI et les capacités de dépistage sont limités, pour protéger les travailleurs de première ligne pendant la pandémie.
Une étude récente est venue appuyer nos conclusions en montrant l’inactivation du SRAS-CoV-2 sur des respirateurs N95 exposés pendant 60 minutes à une chaleur sèche de 70 °C23. Selon d’autres études, les désinfections thermiques plus courtes (15 à 40 min à une température de 75 °C à 100 °C et à une humidité relative de 0 % à 100 %) préservent l’ajustement et la capacité de filtration des N95 pendant de nombreux cycles, mais leur efficacité antivirale n’a pas été testée26–29.
Outre la désinfection thermique, d’autres procédures de décontamination ont été étudiées, dont le rayonnement ultraviolet (UV) [250 à 280 nm], la stérilisation en autoclave et des traitements chimiques à base d’éthanol à 70 % ou de solutions chlorées à 2 % (quelques références sont des prépublications non révisées par des pairs)23,28–35. Il a été démontré que la stérilisation en autoclave et les traitements chimiques réduisent rapidement la capacité de filtration des respirateurs N95 et, par conséquent, ne sont pas appropriés pour une utilisation clinique23,28,34–36. En revanche, la décontamination par rayonnement UV pourrait être une approche prometteuse puisqu’elle semble préserver les propriétés des respirateurs et inactiver le SRAS-CoV-223,33. Son adaptabilité pourrait toutefois être limitée, l’empilage des masques et les ombres qu’il crée pouvant nuire à la pénétration des rayons UV dans le matériau poreux qui constitue le filtre des N9528.
Utilisée de pair avec d’autres méthodes de traitement, la désinfection thermique peut servir de mesure d’urgence pour pallier rapidement la pénurie mondiale de respirateurs N95. Des études ultérieures pourraient comparer la sûreté, l’adaptabilité et la rentabilité des diverses méthodes de décontamination des N95 et, pour mieux évaluer la sûreté des méthodes en contexte réel, se pencher sur l’inactivation du SRAS-CoV-2 dans les respirateurs contaminés par des liquides biologiques comme la salive ou le sang.
Limites de l’étude
Étant donné la pénurie mondiale de respirateurs N95, la taille de l’échantillon étudié était limitée. La réalisation d’une étude de noninfériorité classique comparant des masques désinfectés à des masques non traités aurait nécessité un échantillon plus important (p. ex., 155 masques par groupe pour avoir une limite de non-infériorité de 5 pour le facteur d’ajustement, à une puissance de 0,9 et à une valeur α de 0,05) ou des marges de non-infériorité larges et exagérées. Nous avons donc déterminé la sûreté des masques désinfectés en comparant les caractéristiques aux critères d’approbation des N95 de l’OSHA et du NIOSH. À noter que lors de la prestation de soins aux patients atteints de la COVID-19, il est possible que les N95 soient contaminés par des liquides biologiques infectés, comme du sang, et qu’une exposition prolongée à la chaleur soit nécessaire pour inactiver le virus. C’est pourquoi nous avons porté le temps d’exposition à 60 minutes et que nous recommandons de ne pas traiter les masques visiblement contaminés. Autre limite potentielle de l’étude : nous n’avons pas examiné séparément tous les composants des respirateurs (bandes élastiques, etc.) pour y vérifier l’inactivation totale du virus. Cependant, les virus se trouvant dans le filtre électret, qui a été testé, sont plus susceptibles de résister à la désinfection thermique que ceux se trouvant sur les autres composants du masque; il est donc peu probable que les bandes élastiques et les autres composants portent une charge infectieuse après une désinfection thermique.
Conclusion
La désinfection thermique pendant 60 minutes à 70 °C inactive le SRAS-CoV-2. La méthode utilisée ne demande que de l’équipement largement accessible et permet la réutilisation sûre des respirateurs N95 à usage unique, sans compromettre leur effet protecteur. Compte tenu de l’inactivation complète du SRAS-CoV-2 et de l’inactivation bactérienne supérieure observées, nous proposons d’opter pour la désinfection thermique à une humidité relative de 50 %, jusqu’à un maximum de 10 cycles. Cette intervention pourrait être réalisable, efficace et rapidement adaptable dans les régions peu technologiques, où elle aiderait à protéger les travailleurs de première ligne contre l’infection dans leur milieu de travail durant la pandémie.
Remerciements
Les auteurs remercient Dianna McCluskey, Ilda Ponte, Lucia Couto et Louis Konstant pour l’assistance technique fournie lors du traitement des respirateurs N95.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201203
Intérêts concurrents: Aucun intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Simeon Daeschler, Niclas Manson, Gregory Borschel, Jason Maynes et Michelle Science ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude. Simeon Daeschler, Niclas Manson, Paul Chen, Kiana Tajdaran, Kaveh Mirmoeini, Jennifer Zhang, Katelyn Chan, Ali Darbandi, Libo Zhang, Leo Poon et Alex Chin ont collaboré à l’acquisition des données. Simeon Daeschler et Derek Stephens ont réalisé l’analyse statistique. Simeon Daeschler, Niclas Manson et Gregory Borschel ont interprété les données et rédigé la première version du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. Simeon Daeschler et Niclas Manson ont contribué à cet article à parts égales.
Financement: Des fonds ont été reçus du Health and Medical Research Fund (COVID190116) de Hong Kong, ainsi que du National Institute of Allergy and Infectious Diseases des National Institutes of Health (contrat HHSN272201400006C). Les bailleurs de fonds n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude; la collecte, l’analyse et l’interprétation des données; la rédaction du rapport; et la prise de décisions relatives à la publication de l’article.
Partage des données: Tous les ensembles de données analysés peuvent être obtenus de l’auteur-ressource (gregory.borschel{at}sickkids.ca) si la demande est jugée raisonnable.
- Accepted July 15, 2020.