Une femme de 42 ans atteinte depuis 2 ans de dermatomyosite contrôlée avec de la prednisone (5 mg, 1 fois par jour) se présente chez son médecin de famille une semaine après une poussée de la maladie qui a nécessité une hospitalisation. La patiente présente une faiblesse des muscles proximaux et une dyspnée causée par une maladie pulmonaire interstitielle. Le traitement amorcé est une dose élevée de prednisone (60 mg par jour, par voie orale), qui sera réduite très graduellement. Le médecin de famille se demande s’il devrait prescrire une prophylaxie à la patiente pour prévenir une pneumonie à Pneumocystis jirovecii.
La patiente est-elle susceptible de contracter une pneumonie à Pneumocystis jirovecii?
La pneumonie à Pneumocystis jirovecii est une infection fongique opportuniste1,2. Le déficit de l’immunité cellulaire est le principal facteur de risque de cette maladie, un lien qui a été particulièrement bien établi3 chez les patients atteints du VIH ayant une numération des CD4 inférieure à 200/mm3. Pourtant, l’incidence croissante de la pneumonie à Pneumocystis jirovecii chez les personnes n’ayant pas le VIH (encadré 1) met en évidence le rôle de l’immunosuppression indépendamment du VIH1–5. De plus, les glucocorticoïdes affaiblissent l’immunité cellulaire en réduisant le compte de lymphocytes CD4+ et en limitant la cascade de signalisation inflammatoire3,6. Bien que le risque soit le plus élevé pour les personnes prenant des corticostéroïdes et atteintes d’une affection sous-jacente qui augmente le risque de pneumonie à Pneumocystis jirovecii (hémopathie maligne) ou prenant d’autres agents immunosuppresseurs, la monothérapie a aussi été associée à cette maladie3. Dans une étude prospective de cohorte portant sur des patients atteints de troubles rhumatologiques qui prenaient de la prednisone (≥ 30 mg par jour pendant au moins 4 semaines), l’incidence de la pneumonie à Pneumocystis jirovecii à 1 an était de 2,37 cas par 100 personnes-années7. Les groupes prenant une dose plus élevée de prednisone (≥ 60 mg), utilisant une thérapie pulsée à la cyclophosphamide et ayant un âge plus avancé ou une lymphocytopénie au début de l’étude étaient plus à risque7. Une analyse rétrospective s’intéressant à des patients n’ayant pas le VIH a révélé que la pneumonie à Pneumocystis jirovecii pouvait se développer avec des doses de corticostéroïdes aussi faibles que 16 mg/jour prises pendant 8 semaines ou moins3. Les antécédents de dermatomyosite de la patiente et la récente poussée exigeant une forte dose de prednisone augmentent son risque de contracter une pneumonie à Pneumocystis jirovecii.
Populations de patients | Indications pour la prophylaxie |
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Transplantation d’organes pleins | Pendant 6–12 mois après la transplantation* |
Greffe de cellules souches hématopoïétiques | Greffe de cellules souches autologues
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Allogreffe de cellules souches
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Hémopathie maligne | Glucocorticoïdes† équivalant à une dose de prednisone ≥ 20 mg/jour pendant 4 semaines |
Leucémie lymphoblastique aiguë traitée par chimiothérapie | |
Alemtuzumab
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Agents réduisant la quantité de lymphocytes T (p. ex., fludarabine ou cladribine)
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Tumeur solide | Glucocorticoïdes† équivalant à une dose de prednisone ≥ 20 mg/jour pendant ≥ 4 semaines |
Témozolomide et radiothérapie
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Maladie auto-immune et vascularite | Arthrite rhumatoïde traitée par des inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale α
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Maladie inflammatoire de l’intestin traitée par des inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale α
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Granulomatose avec polyangéite traitée par de la cyclophosphamide | |
Vascularite associée à des ANCA
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Autre vascularite
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Maladie des tissus conjonctifs
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Déficit immunitaire primaire | Déficit immunitaire combiné sévère |
Lymphocytopénie CD4 idiopathique | |
Syndrome hyper-IgM lié à l’X | |
Traitement par des glucocorticoïdes (autre)† | Équivalent d’une dose de prednisone ≥ 20 mg/jour pendant ≥ 4 semaines, et au moins un des éléments suivants :
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Autre population de patient (pour laquelle la prophylaxie peut être envisagée) | |
Traitement par des glucocorticoïdes† | Équivalent d’une dose de prednisone ≥ 20 mg/jour pendant ≥ 4 semaines
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Remarque : ANCA = anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles, IgM = immunoglobuline M.
↵* La durée varie selon l’organe transplanté et les exigences relatives aux autres agents immunosuppresseurs (chez les patients transplantés rénaux, la prophylaxie pourrait être écourtée).
↵† Glucocorticoïdes (équivalant à une dose de prednisone ≥ 20 mg/jour pendant ≥ 4 semaines; certains experts recommandent ≥ 16–20 mg/jour).
Comment la pneumonie à Pneumocystis jirovecii se présenterait-elle chez cette patiente?
Le présentation clinique de ce type de pneumonie varie et est non spécifique, mais chez cette patiente, les symptômes typiques incluraient une dyspnée aiguë, de la toux et de la fièvre pendant plusieurs jours8, ce qui ne concorde pas avec l’apparition indolente des symptômes se produisant sur plusieurs jours ou semaines observée chez les patients atteints du VIH8. Une étude prospective réalisée en France en 2014 a conclu que les patients atteints d’une pneumonie à Pneumocystis jirovecii qui n’avaient pas le VIH présentaient moins de symptômes à l’apparition de la maladie (ce qui retarde le diagnostic), commençaient le traitement plus tard et avaient un plus haut taux de ventilation mécanique et de décès que les patients atteints du VIH8.
Les cliniciens devraient maintenir un fort degré de suspicion quant à la pneumonie à Pneumocystis jirovecii chez les patients immunosupprimés non atteints du VIH, puisqu’il peut être difficile de confirmer le diagnostic. Par ailleurs, les marqueurs de substitution ne sont pas utiles; les tests sur le taux de lactate-déshydrogénase ont une sensibilité de 90 % pour les patients atteints du VIH, mais de 63 % seulement pour les autres patients9. Une tomodensitométrie thoracique montrera des opacités bilatérales en verre dépoli dans les 2 populations, mais la confirmation du diagnostic exige une visualisation directe du pathogène en cause4. Les méthodes de détection comme le lavage bronchoalvéolaire ont une sensibilité moins importante chez les patients qui n’ont pas le VIH parce que la quantité de micro-organismes chez eux est moins importante4.
La patiente devrait-elle recevoir une prophylaxie pour la pneumonie à Pneumocystis jirovecii?
La décision d’amorcer une prophylaxie chez cette patiente exige une prise en compte soigneuse des risques et des avantages; elle est toutefois appuyée par la science7. Ce traitement est recommandé quand le risque de pneumonie à Pneumocystis jirovecii est supérieur à 3,5 %5. Les données appuyant la prophylaxie chez les patients n’ayant pas le VIH sont les plus solides pour la transplantation d’organes solides ou de cellules souches hématopoïétiques, pour les tumeurs solides ou les agents réduisant la quantité de lymphocytes T, pour les hémopathies malignes, pour le déficit immunitaire primaire, pour les vascularites et pour les maladies auto-immunes traitées par des inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale α (encadré 1)1,2,4,5.
Dans 2 méta-analyses comparant la prophylaxie à triméthoprime–sulfaméthoxazole (TMP-SMX) et un placébo ou l’absence de prophylaxie chez des patients à risque atteints d’une hémopathie maligne ou ayant subi une transplantation, on a rapporté un nombre de sujets à traiter aussi faible que 15 et 19 pour prévenir 1 cas de pneumonie à Pneumocystis jirovecii; le taux global d’événements indésirables était de 3,1 %, sans différence entre les groupes1,5.
Chez les personnes atteintes de maladies des tissus conjonctifs, l’incidence de pneumonie à Pneumocystis jirovecii est la plus élevée en présence de granulomatose avec polyangéite (8 %–12 %), de polyartérite noueuse (6,5 %) et de dermatomyosite ou de polymyosite (2,7 %)4. Bien que le risque isolé de pneumonie à Pneumocystis jirovecii tombe sous 3,5 % pour les myopathies inflammatoires, ces troubles sont associés à une diminution des lymphocytes T10 et exigent souvent un traitement par glucocorticoïdes; et une maladie pulmonaire interstitielle concomitante accroît le risque11. Dans une étude de cohorte portant sur 1092 patients atteints de troubles rhumatologiques qui prenaient une dose modérée à élevée de stéroïdes, certains patients ont reçu une prophylaxie à TMP-SMX selon le jugement du médecin traitant7. La prophylaxie a réduit l’incidence de la pneumonie à Pneumocystis jirovecii à un an de 93 % et la mortalité associée de 92 %7. Le nombre de sujets à traiter pour prévenir un cas de pneumonie à Pneumocystis jirovecii était de 52; les réactions pulmonaires négatives graves étaient rares (nombre requis pour causer un préjudice = 131)7. En l’absence de lignes directrices claires, la littérature favorise la prophylaxie chez cette patiente atteinte de dermatomyosite et de maladie pulmonaire interstitielle qui prend d’importantes doses de stéroïdes pour de longues périodes.
Quelles sont les options de prophylaxie pour la pneumonie à Pneumocystis jirovecii?
L’agent favorisé est le TMP-SMX2. Il peut être administré de 2 manières : 1 comprimé à dose double 3 fois par semaine, ou 1 comprimé à dose normale chaque jour — il n’y a aucune différence d’efficacité ou de toxicité1. Les effets secondaires incluent les éruptions cutanées, la myélosuppression, l’hépatotoxicité et la néphrotoxicité1,7. Les autres options seraient la dapsone, l’atovaquone et la pentamidine en aérosol, selon les données limitées et largement extrapolées provenant de publications sur des personnes atteintes du VIH2,4.
Retour à l’étude de cas
La patiente présente de multiples facteurs de risque de la pneumonie à Pneumocystis jirovecii, notamment une maladie rhumatologique sous-jacente qui requiert d’importantes doses de glucocorticoïdes. Si la pneumonie se développe, la patiente est à risque d’une infection grave et de mauvais résultats pour la santé, surtout en raison de sa maladie pulmonaire interstitielle. Selon les données disponibles, les avantages de la prophylaxie surpassent les risques de préjudices. Après consultation en rhumatologie, la patiente a amorcé une prophylaxie à TMP-SMX, et il y a eu un suivi des réactions négatives.
Décisions est une série qui traite des approches pratiques fondées sur des données probantes pour des pathologies courantes en soins primaires. Les articles portent sur les décisions clés qu’un médecin peut devoir prendre lors d’un examen initial. La situation présentée doit habituellement pouvoir s’observer lors d’une consultation typique en soins primaires. Les articles ne doivent pas dépasser 650 mots, peuvent inclure un encadré, une figure ou un tableau et doivent commencer par une très brève description (75 mots ou moins) du cas clinique. Les décisions doivent être présentées sous forme de questions. On encourage la présentation d’un encadré renfermant quelques ressources utiles pour les patients ou les médecins.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200846
Intérêts concurrents: Nisha Andany déclare sa participation en tant qu’investigateur de site pour des essais cliniques sur le VIH financés par Gilead Sciences, GlaxoSmithKline et Janssen (externe au travail soumis). Aucun autre intérêt concurrent déclaré.
Cet article a été évalué par des pairs.
Il s’agit d’un scénario clinique fictif.
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