La syphilis doit être envisagée dans le diagnostic différentiel des lésions osseuses lytiques.
Le diagnostic de l’ostéite syphilitique peut être établi à partir d’observations cliniques, radiographiques et sérologiques; à l’imagerie, la résorption des lésions peut se produire après l’amélioration clinique et sérologique attribuable au traitement.
La prise en charge de l’ostéite syphilitique et de l’ostéomyélite n’est pas bien établie dans la littérature existante et devrait être guidée par la réponse clinique, sérologique et radiographique au traitement.
La co-infection par d’autres infections transmissibles sexuellement (ITS) est courante; tout diagnostic d’ITS doit mener à une discussion sur le dépistage et la prévention des ITS.
Un homme de 25 ans s’est présenté chez son médecin de famille pour une céphalée d’aggravation progressive ayant commencé 3 semaines auparavant. En plus de l’exploration des causes courantes de céphalées — migraine, céphalée de tension et algie vasculaire de la face — le médecin a effectué une revue des systèmes et appareils et une anamnèse de la santé sexuelle. Le patient a dit avoir eu un chancre pénien indolore 2 mois avant les céphalées; il a des relations sexuelles avec des hommes seulement et utilise des condoms pour les relations anales, mais pas orales. Il n’avait aucun antécédent d’infections transmissibles sexuellement (ITS) et avait obtenu des résultats négatifs à ses tests de dépistage systématique de la syphilis et du VIH, 11 mois avant sa consultation avec son médecin de famille. Compte tenu du tableau clinique, le dépistage sérologique de la syphilis a été demandé à Santé publique Ontario; les résultats de l’immunodosage par chimioluminescence basé sur des microparticules et de l’épreuve d’agglutination des particules de tréponème pâle étaient positifs. Un test rapide de la réagine plasmatique a donc été automatiquement demandé; il était positif, au titre de 1:16, signe d’une infection syphilitique active dans ce contexte. Lors d’une visite de suivi chez le médecin de famille quelques jours plus tard et durant laquelle un traitement contre la syphilis était prévu, le patient a mentionné que sa céphalée s’était aggravée malgré les analgésiques. Il a été envoyé à l’hôpital pour une évaluation afin de débusquer une possible neurosyphilis.
En consultation avec notre équipe d’infectiologie, nous avons hospitalisé le patient au service de médecine interne générale pour une évaluation plus poussée et la prise en charge. Aux dires du patient, la céphalée était localisée en zone frontotemporale, sans aucun autre symptôme neurologique connexe. Il ne présentait pas d’éruptions cutanées, de signes généraux, d’alopécie ou de symptômes oculaires ou otiques. À l’examen, nous avons observé une adénopathie cervicale bilatérale, un chancre pénien indolore en cours de guérison et une sensibilité reproductible à la palpation du vertex. L’examen neurologique était normal. Une tomodensitométrie (TDM) de la tête a révélé une lésion lytique osseuse de l’os pariétal gauche mesurant 2,3 × 1,4 × 0,8 cm. De multiples petits foyers d’ostéolyse disposés en cercle produisaient une image tubulaire irrégulière, avec œdème des tissus mous du cuir chevelu, ce qui laissait penser à une ostéomyélite syphilitique. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révélé un œdème et un rehaussement médullaires correspondants dans l’os pariétal gauche, entourés d’un épaississement rehaussé de la dure-mère et du cuir chevelu (figure 1 et figure 2). Nous avons effectué un deuxième test rapide de la réagine plasmatique; le titre obtenu, soit 1:32, permettait de présumer une infection évolutive non traitée. Le test de détection des anticorps anti-VIH était négatif. Nous avons ensuite effectué une ponction lombaire; la numération leucocytaire était de 1 (normale < 5) × 109/L, la numération érythrocytaire, de 436 (normale 0) × 109/L, la glycémie, de 3,4 mmol/L (sérique 5,6; normale 60 % de la glycémie sérique), et la concentration de protéines, de 0,32 (plage normale 0,15–0,45) g/L; le résultat du test VDRL (Venereal Disease Research Laboratory) était négatif, et le résultat du test d’immunofluorescence absorbée pour détecter la présence d’anticorps dirigés contre Treponema pallidum (FTA-ABS) était non concluant. La numération érythrocytaire élevée a été attribuée à une contamination du prélèvement par du sang.
Compte tenu de la céphalée du patient et de la présence d’un chancre pénien, ainsi que de l’adénopathie cervicale et des résultats sérologiques et d’imagerie connexes, nous avons posé un diagnostic provisoire de syphilis secondaire avec ostéomyélite de la voûte crânienne. Avec le patient, nous avons décidé d’entreprendre un traitement empirique et de suivre l’évolution des lésions osseuses, en réservant la possibilité d’une biopsie en cas d’absence d’amélioration clinique ou selon les examens d’imagerie en série. Compte tenu des résultats inconcluants au test FTA-ABS effectué sur le liquide céphalorachidien et du diagnostic d’ostéomyélite, nous avons choisi de prescrire un traitement de 6 semaines au total, soit l’administration intraveineuse (IV) initiale de pénicilline G (4 millions d’unités toutes les 4 heures) pendant 2 semaines, suivie de benzathine benzypénicilline par voie intramusculaire (IM) (2,4 millions d’unités 1 fois par semaine) pendant 4 semaines. Dans le cadre du dépistage initial des ITS, le patient a reçu un résultat positif pour la chlamydia (écouvillonnage de la gorge) et a été traité avec une dose de 1 g d’azithromycine par voie orale.
Après 2 semaines de traitement, la céphalée du patient s’était résorbée et une nouvelle TDM de la tête a révélé une diminution de l’œdème des tissus mous environnants. La TDM de la tête a révélé 3 lésions additionnelles de l’os frontal et une progression minime de l’ostéolyse dans la lésion du lobe pariétal (figure 1). Une IRM effectuée 10 semaines après le début du traitement a montré une résolution des changements aux tissus mous du cuir chevelu et une réduction de l’épaississement dural, ainsi qu’un œdème et un rehaussement médullaires résiduels (figure 2). Le titre d’un nouveau test rapide de la réagine plasmatique effectué 2 mois après la consultation initiale du patient était de 1:8, et le test était négatif après 9 mois, signe de la réussite du traitement de l’infection. Dans le cadre du suivi, on a offert au patient d’initier la prophylaxie préexposition au VIH, ce pour quoi il a exprimé de l’intérêt. Son état clinique demeure bon, et il continue de faire l’objet d’un suivi clinique et radiographique dans notre clinique d’infectiologie.
Discussion
La syphilis, une ITS causée par le spirochète T. pallidum, est souvent surnommée la « grande simulatrice » en raison de ses nombreuses manifestations qui peuvent imiter d’autres syndromes cliniques1. On dénote 4 stades classiques de l’infection: primaire, secondaire, tertiaire et latent2. La syphilis primaire peut se manifester par un ulcère indolore, à base nette et bien délimité au point d’inoculation, qui peut présenter des lésions de la langue, des muqueuses orales et vaginales, ou encore du pénis. Il est typiquement associé à une adénopathie régionale non sensible. En 3–6 semaines, le spirochète peut se disséminer et causer une syphilis secondaire, habituellement associée à une éruption cutanée sur les paumes et la plante des pieds, pouvant s’accompagner de changements mucocutanés, d’une uvéite généralisée ou d’une hépatite et, plus rarement, d’arthralgie et de périostite. Non traitée, la maladie peut évoluer vers le stade tertiaire de 1–10 ans après l’infection initiale et entraîner des lésions cardiaques, neurologiques et gommeuses. La maladie asymptomatique est classée comme latente précoce ou tardive — une distinction importante. Le traitement de la syphilis latente tardive nécessite 3 doses hebdomadaires de benzathine benzypénicilline, comparativement à 1 dose pour les patients au stade latent précoce. Enfin, la neurosyphilis (ce qui inclut les manifestations oculaires ou otiques) peut se manifester à n’importe quel stade et est plus fréquente chez les personnes vivant avec le VIH.
De façon générale, l’ostéite et l’ostéomyélite syphilitiques sont des complications rares de la syphilis précoce (primaire et secondaire): elles sont plus fréquemment décrites dans les cas de syphilis congénitale ou tertiaire2. Dans une série de cas (1919–1940) portant sur des patients atteints de syphilis précoce, seulement 15 patients sur 10 000 présentaient des lésions osseuses3. Selon une revue systématique plus récente sur les manifestations osseuses associées à la syphilis secondaire, seulement 36 cas de syphilis secondaire présentant une atteinte osseuse ont été répertoriés de 1964 à 20144. Cela dit, on constate actuellement une hausse des rapports de cas d’ostéite associée à la syphilis précoce, particulièrement chez les personnes vivant avec le VIH, ce qui semble indiquer que l’ostéite pourrait être une manifestation de la syphilis plus fréquente que ce qu’on décrivait auparavant5–9. Il est possible que l’augmentation de la prévalence relative soit une conséquence de l’évolution des techniques d’imagerie, ainsi que du nombre croissant de personnes vivant avec le VIH.
L’ostéite, la périostite et l’ostéomyélite découlent probablement de dépôts dans le périoste, le canal de Havers et la moelle osseuse secondaires à la dissémination hématogène du spirochète au cours du stade secondaire, ce qui entraîne une réaction inflammatoire et une périostite, puis des lésions ostéolytiques3,4. Les os longs, le crâne, le sternum et les clavicules sont les foyers les plus fréquemment touchés. Les personnes atteintes d’ostéite syphilitique présentent généralement une douleur localisée, un érythème ou des céphalées chroniques, mais certains cas peuvent être asymptomatiques4. À la TDM, les lésions ostéolytiques sont habituellement décrites comme ayant l’apparence « d’os rongés par les vers »10. L’IRM et les examens de médecine nucléaire ont une meilleure sensibilité pour la détection de l’ostéomyélite. L’IRM a pour avantage de permettre une meilleure délimitation des signes touchant les tissus mous, la moelle et les tissus intracrâniens.
Le diagnostic de l’ostéite syphilitique repose souvent sur une combinaison d’observations cliniques, sérologiques et radiographiques3,4. On peut effectuer une biopsie osseuse pour confirmer le diagnostic, car les spirochètes pourraient y être apparents, mais le traitement empirique avec suivi de la réponse clinique et radiologique a été décrit dans la littérature1,9. À la biopsie, les résultats pathologiques montreront une prolifération de tissu fibreux avec infiltration lymphoplasmocytaire. Les spirochètes peuvent aussi être détectés à l’aide de la coloration de Warthin–Starry, qui présente toutefois une faible sensibilité; le test d’amplification en chaîne par polymérase (PCR) d’échantillons tissulaires a aussi été utilisé pour poser un diagnostic microbiologique.
Dans le cas de notre patient, la réponse clinique et radiographique continue au traitement et les observations radiologiques typiques appuyaient le diagnostic; une biopsie effractive n’a donc pas été nécessaire. Cependant, nous avons observé une aggravation des changements osseux à la TDM après le début du traitement, malgré une amélioration simultanée des paramètres cliniques et sérologiques. L’apparence des tissus mous et de la dure-mère à l’imagerie indique qu’il y aurait un retard des résultats radiologiques par rapport aux résultats cliniques, retard qu’on peut probablement attribuer à la persistance d’une inflammation locale sans nouveaux dépôts osseux; une série d’examens d’imagerie sur 2 ans a montré une amélioration ininterrompue. Le fait de savoir que l’amélioration clinique précède souvent l’amélioration radiologique pourrait empêcher l’interruption prématurée du traitement de l’ostéite, de la périostite ou de l’ostéomyélite syphilitiques.
Le traitement optimal de l’ostéite et de l’ostéomyélite syphilitiques n’est pas bien établi dans la littérature existante et il n’existe actuellement pas de lignes directrices définitives. La pénicilline est administrée par voie IM et IV, et les durées suggérées du traitement varient énormément: de 2–3 semaines de traitement IV par la pénicilline G pour les cas d’ostéite associée à la syphilis précoce, 3 semaines de traitement IM par la benzathine benzypénicilline, ou 6 semaines de traitement IV par la pénicilline ou la doxycycline lorsque les lésions osseuses sont présentes aux stades tardifs1,9. D’autres variations préconisent 3 semaines de traitement IV par la ceftriaxone, ou encore l’association d’un traitement IV de pénicilline pendant 2 semaines, suivie de 3 semaines d’injections IM hebdomadaires de pénicilline, un schéma semblable à celui utilisé pour notre patient, qui préférait éviter un traitement IV prolongé9. Le traitement entraîne souvent un soulagement rapide des symptômes, mais les lésions osseuses peuvent persister pendant une période allant jusqu’à 1 an. Dans certaines études de cas, aucun changement radiographique notable des lésions n’a été observé après le traitement5,10. Le mode de suivi privilégié pour la plupart des patients est une série d’immunodosages par chimioluminescence basée sur des microparticules ciblant une division par 4 du titre en 12–24 mois.
Le diagnostic différentiel des lésions de la voûte crânienne est vaste (encadré 1)11. Les autres causes devraient être envisagées et évaluées selon leur probabilité, d’après une anamnèse complète, un examen physique et une revue des systèmes et appareils. L’atteinte osseuse associée à une syphilis précoce doit être envisagée, car sa fréquence pourrait être plus élevée qu’on le pensait. Cette situation pourrait être liée à la facilitation du diagnostic découlant de l’amélioration des techniques radiologiques, de même qu’à une augmentation potentielle des cas d’ostéite syphilitique chez les personnes vivant avec le VIH. Il est important d’envisager la possibilité d’une ostéite syphilitique lorsqu’on évalue des personnes présentant des douleurs osseuses, car un mauvais diagnostic entraînera un retard de traitement qui pourrait signifier une ostéolyse permanente. Le dépistage fréquent (tous les 3–6 mois, selon la fréquence des rapports à risque élevé, le statut immunitaire et les pratiques sexuelles) de la syphilis est aussi important pour détecter la maladie tôt dans son évolution clinique — bon nombre de personnes étant asymptomatiques — considérant que l’incidence de la syphilis continue d’augmenter au Canada. Enfin, la concomitance d’autres ITS comme la gonorrhée, la chlamydia et le VIH est courante, et celles-ci devraient faire l’objet d’un dépistage. Un diagnostic de syphilis doit servir de point de départ à une discussion sur d’autres mesures de prévention, comme la prophylaxie préexposition au VIH.
Encadré 1: Diagnostic différentiel des lésions de la voûte crânienne11
Infection
Tuberculose
Ostéomyélite bactérienne (dont la syphilis)
Tumeur maligne
Métastase
Myélome
Lymphome
Sarcome
Hémangiopéricytome
Inflammation
Sarcoïdose
Histiocytose langerhansienne
Enjeux métaboliques
Hyperparathyroïdie
Stade lytique de la maladie de Paget
Autre
Méningiome
Défauts chirurgicaux
Granulations arachnoïdiennes
Lacs veineux
Malformation veineuse intraosseuse (hémangiome)
Dysplasie fibreuse
Kyste épidermoïde
Kyste dermoïde
Maladie de Gorham
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les autrices et l’auteur ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Toutes les autrices et l’auteur ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail. Orly Bogler a rédigé le manuscrit. Hosay Said, Shobhit Mathur et Malika Sharma en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important. Toutes les autrices et l’auteur ont approuvé la version finale pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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