Le Canada tarde à recueillir des données probantes fondées sur la race en ce qui a trait aux mères et aux nouveau-nés, lesquelles permettraient d’étudier les iniquités raciales en matière de morbidité et de mortalité maternelles à l’échelle de la population.
Des pays comparables, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, ont récemment adopté une approche systématique afin de réduire les iniquités raciales en santé reproductive et obstétricale, qui a été mise en place à la lumière des collectes de données effectuées en tenant compte de la race.
Il sera nécessaire d’effectuer des modifications importantes aux politiques pour pallier les méfaits découlant des iniquités en matière de santé reproductive auxquels les personnes noires du Canada sont confrontées; selon les lignes directrices sur les pratiques exemplaires, la collecte de données périnatales fondées sur la race est indispensable à cet objectif.
Bon nombre de pays à revenu élevé, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, recueillent de façon systématique des données fondées sur la race liées aux issues de grossesse afin d’orienter les politiques et de pallier les disparités raciales en matière de santé reproductive, lesquelles sont ancrées dans le racisme systémique1,2. Le gouvernement fédéral américain a d’ailleurs récemment annoncé des stratégies pour faciliter l’accès aux soins, améliorer les issues et sensibiliser les prestataires de soins de santé aux préjugés implicites. Au Royaume-Uni, le programme de transformation de la maternité (Maternity Transformation Programme), par l’application du rapport « De meilleures naissances » (Better Births) et du plan à long terme du Service national de santé (National Health Service Long-Term Plan), a adopté une approche systématique de réduction des iniquités en matière de santé et de la variabilité des soins ciblant les personnes noires et asiatiques, les femmes appartenant à des minorités ethniques et les personnes provenant des régions les plus défavorisées du pays. Pour ce faire, le programme accroît le nombre de prestataires de soins obstétricaux et facilite l’accès à des prestations pour la grossesse, à l’éducation préscolaire, à la garde des jeunes enfants et aux allocations sociales (Universal Credit)1. De plus, la recherche de disparités raciales liées aux issues périnatales ainsi que l’évaluation des politiques britanniques sont rendues possibles par des collectes de données et des vérifications tenant compte de la race3. L’adoption de mesures semblables au Canada permettrait de s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé qui sous-tendent les disparités liées aux issues de grossesse et de fournir de l’information sur les façons dont les politiques provinciales du pays sont mises en place.
Au Canada, une analyse limitée d’échantillons de données fondées sur la race et liées aux issues de grossesse de 2004 à 2006 a montré que 8,9 % des femmes noires avaient donné naissance à des bébés prématurés, comparativement à 5,9 % pour les femmes blanches4. En 2021, plus de 1,5 million de personnes au Canada ont indiqué qu’elles s’identifiaient en tant que Noires au recensement fédéral, et un pourcentage important d’entre elles est susceptible de faire appel à des soins génésiques5. Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a fait ressortir l’importance de recueillir des données tenant compte de la race5,6. Il est essentiel d’accroître l’exhaustivité des collectes de données en ce qui a trait à la race afin de comprendre les iniquités, d’y remédier et d’éradiquer le racisme structurel des services qui prodiguent des soins aux personnes enceintes. Les lignes directrices sur les pratiques exemplaires indiquent que, pour faciliter l’analyse quantitative des mégadonnées, des données sur l’auto-identification raciale devraient être recueillies systématiquement dans les formulaires d’antécédents prénataux et les dossiers électroniques par les hôpitaux au moment de l’admission, par les cliniques communautaires ainsi que par les prestataires de soins périnataux6.
Les données probantes issues de pays riches en ressources qui recueillent des données ethnoraciales exhaustives montrent qu’on y trouve des disparités ethnoraciales en matière de mortalité et de morbidité maternelles2,7. Plutôt que de provenir de causes génétiques ou d’une mauvaise autogestion de la santé, les différences résultent probablement de l’épigénétique, d’altérations biologiques, d’obstacles systémiques aggravés par les préjugés et de déterminants sociaux qui causent des préjudices8,9. Aux États-Unis, le taux de mortalité maternelle a connu une hausse vers la fin de la dernière décennie, et les données indiquent que le taux était plus élevé chez les femmes noires (37,3, 44 et 55,3 pour 100 000 naissances vivantes en 2018, 2019 et 2020, respectivement) que chez les femmes blanches non hispaniques (14,9, 17,9 et 19,1 pour 100 000 naissances vivantes au cours des mêmes années, respectivement)10. On suppose qu’entre 2003 et 2017, le taux de mortalité maternelle a été sousestimé jusqu’à l’ajout normalisé, dans les certificats, d’une case à cocher concernant la grossesse. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les personnes noires sont de 3–4 fois plus susceptibles de mourir lors d’une grossesse ou d’un accouchement que les personnes blanches11,12. Des disparités similaires existent probablement aussi au Canada, en dépit des soins obstétricaux financés par l’État dans les provinces et territoires canadiens, comme le suggèrent les rares données disponibles5 et compte tenu du fait que les données fondées sur la race obtenues durant la pandémie de COVID-19 ont montré que les personnes noires au Canada étaient surreprésentées chez les personnes ayant subi des issues négatives associées à la maladie8,13. Enfin, force est de constater que les soins de santé financés par le gouvernement n’empêchent pas la présence d’issues inéquitables, puisqu’on observe des différences dans les issues génésiques au Royaume-Uni, endroit où la santé reproductive est financée de la même façon par l’État3.
Une étude menée en 2023 a conclu que la présence de prestataires de soins de santé noir(e)s était associée à une amélioration de la santé de la population14. Les préjugés implicites et explicites au sein du système de santé limitent l’accès des personnes noires aux soins génésiques, ce qui entraîne des soins sous-optimaux15,16. Il faut s’attaquer activement aux préjugés à l’échelle systémique pour déconstruire les disparités, les réduire et appuyer l’accès équitable à des soins de haute qualité pour la patientèle noire qui reçoit des soins obstétricaux15. Le principe de souveraineté et la mobilisation sont des composantes essentielles pour déconstruire les préjugés déterminés par la société et subis par les familles noires11,12. En appliquant les recommandations de l’Alliance pour des communautés en santé6 et de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS)17, les organisations, les équipes de recherche, les responsables des orientations politiques et les prestataires de soins de santé qui planifient les études ou les directives cliniques touchant les personnes noires doivent, au minimum, inclure des chercheurs et chercheuses, des prestataires de soins de santé, des personnes apprenantes, des leaders et les représentants et représentantes communautaires des équipes de recherche de la communauté noire dans la création collaborative, la mise en œuvre et l’application adaptée sur le plan culturel des projets de recherche qui ont une incidence sur les communautés noires. Les équipes d’équité en matière de santé des hôpitaux de Toronto recommandent que l’identité ethnoraciale soit déterminée à partir d’une auto-identification facultative et que des questionnaires axés sur l’équité soient offerts à l’ensemble de la patientèle au moment de l’admission par du personnel de soutien formé6,17,18. De plus, les personnes apprenantes et les prestataires de soins de santé doivent recevoir de la formation sur les conséquences du racisme envers les personnes noires sur les issues en matière de soins de santé ainsi que sur les stratégies visant à susciter la confiance avant de commencer à recueillir les renseignements sur la race en contexte communautaire11,12. Les directives fournies par l’ICIS sont appuyées par des preuves convaincantes qui démontrent la solidité éthique de la collecte de données tenant compte de la race et de l’identité autochtone.
La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada collabore actuellement avec des conseillers et conseillères spécialistes des connaissances pour combler les lacunes associées à la mortalité maternelle au Canada13. Les données fondées sur la race devraient être la pierre angulaire de ce travail, et les lignes directrices fournies par l’Alliance pour des communautés en santé et les Directives sur l’utilisation des normes de collecte de données fondées sur la race et l’identité autochtone pour la production de rapports sur la santé au Canada de l’ICIS16 doivent être intégrées aux méthodes de cueillette, d’interprétation et d’utilisation des données, le tout en travaillant de concert avec les personnes dirigeantes des différentes communautés noires pour créer conjointement des initiatives qui élimineront les iniquités raciales liées à la mortalité et la morbidité maternelles6.
Le Canada tarde à recueillir des données probantes fondées sur la race en ce qui a trait aux mères et aux nouveau-nés, lesquelles permettraient d’étudier les iniquités raciales liées à la morbidité et la mortalité maternelles à l’échelle de la population18. Il sera nécessaire d’effectuer des modifications importantes aux politiques pour pallier les méfaits des iniquités en matière de santé reproductive auxquels les personnes noires du Canada sont confrontées. En tant que prestataires de soins de santé au service de la communauté de santé reproductive des personnes noires du Canada, nous pressons nos collègues, les membres de la direction, les organismes de santé reproductive, les parties intéressées et les gouvernements de tenir compte systématiquement des disparités en matière de santé reproductive pour assurer des soins sécuritaires, accessibles et équitables pour toute la population canadienne.
Remerciements
Les personnes suivantes ont contribué à la recherche, à la rédaction et à la révision du manuscrit en tant que membres du Groupe de travail sur la santé reproductive des personnes noires (Black Reproductive Working Group): Remi Ejiwunmi, Feben Aseffa, Colette Rutherford, Shani Robertson, Lara Gotha, Tumushabe Mutungi, Marjorie Dixon, Janelle Griffith, Amoy Jacques, Placide Rubabaza, Elsie Amoako et Jordyn Gibson.
Footnotes
Intérêts concurrents: Modupe Tunde-Byass déclare avoir reçu des subventions de recherche de la société Ferring Pharmaceuticals, de l’initiative pour la santé des femmes de l’Hôpital général de North York et de Shoppers Drug Mart, ainsi que du Fonds Exploration de l’Hôpital général de North York. La Dre Tunde-Byass déclare avoir également reçu des honoraires de conférencière de l’Hôpital Women’s College pour le Sommet sur la santé des personnes noires (Black Health Summit), de la société Microsoft, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, de l’Université du Manitoba, de l’Association médicale de la Saskatchewan, de la régie sanitaire Vancouver Coastal, de l’Université de l’Alberta, de la Fédération des femmes médecins du Canada, de l’Association médicale canadienne et de l’institut de la haute direction dans le secteur public (Public Sector Executive Institute). Elle a été rémunérée à titre de témoin expert et a reçu un soutien financier du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, de l’Association des facultés de médecine du Canada, de la Fédération des Ordres des médecins du Canada, de la Fédération des femmes médecins du Canada et de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada pour participer à des réunions. La Dre Tunde-Byass est présidente de l’association des médecins noirs du Canada, cofondatrice de l’initiative « Formation simplifiée en matière de santé des femmes » (Women’s Health Education Made Simple), coprésidente de l’initiative collaborative « Formation en matière de santé des personnes noires » (Black Health Education Collaborative) de l’Hôpital général de North York et vice-présidente du comité « Résultats maternels et néonatals » (Maternal Newborn Outcomes) du Registre et réseau des bons résultats dès la naissance (Better Outcome Registry Network). Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Toutes les auteures ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude ainsi qu’à l’ébauche du manuscrit, ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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